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Féroce

Pamphlet contre la banalisation de l’extrême-droite en France, le sujet de Féroce a de quoi séduire ces temps-ci. Surtout en ces temps de débâcle électorale. Pourtant, une bonne idée de départ ne fait pas forcément un bon film. Gilles de Maistre, dont ce n’est que le deuxième long-métrage, manque largement de subtilité pour tenir parfaitement son sujet. Les films à caractère politique sont si rares en France que s’en est bien dommage.


Féroce est paradoxalement beaucoup plus intéressant par ce qu’il révèle de notre rapport à l’extrême-droite que par ce qu’il cherche à en dire. Le film mélange fiction et dénonciation politique d’une mouvance politique qu’on identifiera très rapidement, le Front National. L’intrigue se développe autour du personnage d’Alain, jeune Beur interprété par Samy Naceri qui, depuis l’enlèvement de sa jeune soeur par un groupe néo-nazi, n’espère plus qu’une chose : pouvoir assouvir sa revanche. Fatigué des discours contre ce parti d’extrême-droite qui se fait de plus en plus légitime aux yeux de la population, il décide d’agir. Il infiltrera la Ligue patriotique afin d’éliminer leur leader charismatique Hugues-Henri Lègle (excellent Jean-Marc Thibault).

(JPEG)Une des premières ambiguité du film vient justement dans cette volonté de s’attacher avant tout à l’histoire d’un personnage, Alain. Féroce entre ici dans le particulier et, de manière encore moins convaincante, dans le psychologique, alourdi par le recours récurrent à des flashs-back tournés en noir et blanc, portant sur cette scène primitive. La mission d’Alain apparaît moins guidée par la revendication d’une lutte idéologique que par un souci de revanche personnelle, d’une soif de se faire le martyr d’une cause quasi-christique. Alain cherche quasiment à se sacrifier pour les siens. Il est obligé de rompre avec sa famille, son quartier et celle qu’il aime une fois que son adhésion à la Ligue patriotique est révèlée par tous dans la presse. Il se retrouve alors seul face au destin qu’il s’est fixé mais qu’il n’arrive pas à maîtriser. Les doutes du personnage lui donnent ici une certaine épaisseur et évitent au film de tomber dans la pure démagogie. Son plan, en effet, ne se déroule pas comme prévu. Il se lance dans une relation sexuelle puis sentimentale avec la fille de Hugues-Henri Lègle, qui souhaite l’épouser.

(JPEG)Cette relation est avant tout le meilleur moyen qu’il a trouvé pour infiltrer ce parti d’extrême-droite. Ce dernier fait l’objet dans le film d’une étude assez détaillée. Féroce met à la fois en avant les sympathisants, les forces de l’ordre spéciale du parti et les trois cadres principaux. Le premier est le chef charismatique Hugues-Henri Lègle (Jean-Marc Thibault), riche individu prêt à tout pour prendre le pouvoir. Il tente, avec l’aide d’une professionnelle de la communication, Zébulon (Elsa Zylberstein), de lisser son image et d’attirer un électorat toujours plus large. Le second est Cervois (Bernard Le Coq), homme de conviction mais surtout d’action, qui s’offre à plusieurs reprises quelques dérapages, notamment le meurtre d’un jeune Beur de banlieue qui s’amuse à tagger des affiches. Il représente la partie noire et violente du parti. Le troisième cadre mis en avant par le film est Trabile, idéologue convaincu du bien-fondé de ses idées qui n’adhère ni à la violence de Cervois, ni au recours aux pratiques de communication du chef. Des trois, c’est sans aucun doute le moins ambigu et donc le moins intéressant. Sur ce parti d’extrême-droite, le film met en avant l’importance de la communication dans la gestion d’une image assez complexe, la force incroyable de récupération, le recours à la violence des dirigeants ou des milices, le jeu des petites phrases et toute l’ambiguïté du discours public. Le parti n’en garde pas moins un côté convivial, s’apparentant à une grande famille. Alain, bien que beur, est petit à petit accepté et, une fois sa relation avec Lucie Lègle mise à jour, promu au sein du parti, qui se sert alors de lui pour démonter toutes les accusations de racisme portée contre le parti, tout comme étaient intrumentalisés avant lui les employés de couleur du leader.

Le personnage de Lucie joue ici un rôle primordial. Son attitude envers son père est assez ambigüe. Elle a dû subir toute son enfance le mépris de ses camarades mais garde une vision un peu naïve de la Ligue patriotique. Alain se retrouve paradoxalement dans la position de celui qui va la rassurer, puisque la présence d’un Beur dans l’appareil du parti démontre bien pour elle la respectabilité et l’honnêteté de son père. Elle est le symbole de cette banalisation de cette extrême-droite, puisque c’est elle qui finira par succéder à son père. Le personnage interprété par Samy Naceri éprouve lui-même des sentiments ambigus envers l’homme qu’il s’est juré de tuer. Il hésite et réalise que les choses ne sont pas si simples. Le problème de Féroce, c’est que ce trouble au-delà des personnages est propre au film. Gille de Maistre reprend tout le discours démagogique mais attractif des partis d’extrême-droite sans jamais pouvoir apporter à aucun moment un discours autre qui viendrait le contester. C’est comme si le réalisateur souhaitait éprouver la réceptivité du spectateur à ce type de discours.

(JPEG)La seule chose que le film peut opposer à cette Ligue patriotique, c’est un discours de la haine. La seule solution que trouve Alain est de tuer le leader du parti sans se poser la question de son électorat. Et encore, une nouvelle fois pour éviter la démagogie, le réalisateur est obligé de faire de cette mission un échec dès la première scène du film (autre grande faiblesse narrative de Féroce). Le seul constat à tirer du film est alors l’impossibilité de tout discours crédible. Même l’appel à la mobilisation électorale placée à la fin vient dans la bouche du personnage qui sonne le plus faux de Féroce, la conseillère en communication qui réduit constamment ses discours à des slogans chocs et futiles. On en vient même à se demander s’il faut prendre ce message au sérieux ou pas. La dernière maladresse provient de l’échec du réalisateur à réellement problématiser le vote pour la Ligue patriotique. Le raisonnement du film se limite à la haine, le rejet de soi et des autres conduit à l’extrêmisme. C’est un peu limité. Si Féroce a donc au moins le mérite de poser les bonnes questions, il échoue complètement à apporter de vraies réponses, et sa dramatisation fictive reste lourde et maladroite, malgré des comédiens attachants.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 27 octobre 2005 (réédition)
Publication originale 26 avril 2002

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