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Peppermint Candy, de Lee Chang-Dong

Peppermint Candy est une oeuvre sud-coréenne passionnante sur le malaise d’une société et d’un individu qui doit faire face à son histoire. Narrativement très inventif, le film est une belle réussite qui confirme la grande santé du cinéma asiatique de ces dernières années.


La première scène de Peppermint Candy définit les enjeux et le ton du reste du film. Elle agrippe le spectateur et l’entraîne dans un grand voyage mélancolique et inattendu. Un jeune individu en pleurs est couché sur l’herbe. Il se lève et se rend en direction d’un petit groupe réuni sur un espace désolé à proximité d’une rivière et d’une voie ferrée. Ces derniers sont entrain de chanter et danser. L’individu en costume les bouscule. Les autres le reconnaissent, c’est leur ancien camarade Kim Yongho. Il s’asseoit avec eux quelques instants mais son comportement étrange bouleverse le groupe. Il décide alors de se lever et se rend sur la voie ferrée. Les autres le regardent à peu près indifférents. Un train arrive sur la voie et l’écrase.

Cette première scène du film d’une force incroyable n’est pas sans rappeler celle du récent Cienaga de Lucrecia Martel. Peppermint Candy va alors s’efforcer de remonter la vie du personnage pour expliquer cette scène première. Qui est donc cet individu ? Quelles sont les raisons qui l’ont poussé à un tel geste ? A toutes ces questions et à bien d’autres, les deux heures suivantes apporteront des réponses.

La structure narrative est très intéressante. Le tout se déroule sous forme de flash-backs chapitrés. On revient d’abord trois jours plus tôt, puis quelques mois ou quelques années auparavant jusqu’à un premier pic-nique en 1979. Entre chaque tranche de vie et entre deux fondus au noir, nous apparaissent des plans de rail tournés comme si un train revenait sur ses traces en flash-back. Ces magnifiques scènes qui rythment tout le film matérialisent un des thèmes du film : c’est à un vrai voyage dans le temps que le spectateur est convié.

L’originalité tient alors dans le choix du contenu de chacune des séquences du film. On s’attend à se voir expliquer les raisons du geste du personnage dans la première scène, on cherche les ruptures qui ont pu l’amener à une telle rage mais plus on avance et plus on se rencontre que, des raisons, il y en a des multiples et de tout ordre. Toute sa vie a été une succession d’erreurs et de mauvais jugements.

Un des intérêts majeurs du film est alors de nous proposer en filigrane une histoire critique de la Corée du Sud de ces dernières années. A cet égard, la vie de notre "héros" Kim Yongho est parfaitement représentative de l’évolution du pays. Simple soldat à la fin des années 1970 alors que le pays vivait intensemment la guerre froide sous la coupe d’un régime autoritaire, il entre ensuite dans la police pour laquelle il agit de manière violente. Il n’a aucune raison de se soucier des droits des victimes puisque le pays n’est pas encore ouvert à la démocratie. Les choses changent par la suite, fin 1987. Kim Yongho quitte la police et passe au secteur privé. Il ouvre une compagnie d’électronique qui connaît un certain succès mais se fait arnaquer en 1997(année aussi de la crise asiatique) par son associé qui part avec tout l’argent et sa femme. Les moeurs se sont aussi beaucoup libérées malgré le maintien de fortes traditions. Il se retrouve complétement ruiné et désillusioné sur l’état de son pays au printemps 1999 au moment de son suicide. Il faut noter ici aussi que le réalisateur privilégie largement les lieux désolés comme celui de la maison de Kim Yongho au début, parfait reflet de son état intérieur. On a donc un condensé d’une société passée en une dizaine d’années de l’autoritarisme militaire discipliné à un capitalisme de marché néo-libéral. Cette thématique permettrait ainsi d’expliquer son geste mais les choses apparaissent beaucoup plus complexes.

Plus que le portrait d’une société à l’avenir incertain, Peppermint Candy est avant tout l’histoire d’un individu. Les multiples séquences en flash-backs montrent sa profonde inadaptation à la vie et les conditions parfaitement défavorables qui l’entourent. Il a du mal à vivre à l’armée et est totalement traumatisé par un stupide accident. Alors que sa femme accouche, il préfère passer son temps à s’occuper à faire parler un des suspects comme indifférent à l’heureux événement qui est entrain de se dérouler. Plus tard, il surprend sa femme avec son amant, lui fait une crise mais on découvre qu’à la même période il couche en cachette avec sa secrétaire. La multiplication de ce type d’événements et la mélancolie invariable du personnage principal ironisant constamment sur le thème de la "vie est belle" explicite le fait que Kim Yongho est simplement inadapté à la vie adulte. Il porte son malheur en lui comme une cicatrice indélébile dont il a pleinement conscience. Ce fardeau ne peut aucunement être soulagé par les brêves rencontres qu’il peut faire comme dans les très belles scènes à Pusan. Le seul réconfort possible sera alors à trouver auprès de son premier amour Sunim. Il croise celle-ci, qu’il avait d’ailleurs oublié jusqu’ici, mourante sur un lit d’hopital au début du film.

Cette rencontre va alors donner une allure de quête à l’oeuvre. Ces bonbons à la menthe, qui donnent son titre au film, et son nom servent plus au moins de fil rouge jusqu’à la scène finale durant laquelle les deux personnages semblent se rencontrer pour la première fois. Kim Yongho, assagi, esquisse alors un sourire avant de retourner pleurer. Lui aussi a été une jeune fleur fragile et sauvage avant d’être emporté par les évènements. Le regard attendri du cinéaste pour son personnage évite ainsi les écueils du cynisme et de la simple psychologie. Lee Chang-Dong imprime au film une douce mélancolie qui emporte le spectateur du début à la fin, celle qu’entraîne avec lui le tourbillon de la vie.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 9 octobre 2004 (réédition)
Publication originale 26 février 2002

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