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Petites Coupures

Ancien critique aux Cahiers du cinéma puis co-scénariste notamment auprès d’André Téchiné et de Jacques Rivette, Pascal Bonitzer est venu tardivement à la mise en scène. Avec Petites coupures, il signe un troisième long métrage dans la veine du précédent Rien sur Robert. Daniel Auteuil y est confronté tour à tour à quatre femmes différentes qui font chavirer son cœur. Le film est présenté cette année en compétition officielle à Berlin.


"Au milieu du chemin de notre vie, je me trouvai dans une forêt obscure, car j’avais perdu la voie droite..." Ces premiers vers de la Divine comédie de Dante ont inspiré à Pascal Bonitzer le projet de Petites Coupures. Le cinéaste va même jusqu’à mettre en images cet incipit dans une des scènes clés du film. Bruno (Daniel Auteuil) est à la recherche d’une maison perdue dans une forêt de l’Isère où réside l’amant de la femme de son oncle et ami Gérard (Jean Yanne). Ce dernier lui a confié la mission de remettre une lettre à son rival. Que peut bien faire cet intellectuel parisien perdu en pleine nuit au milieu du brouillard pris à parti dans une affaire qui ne le concerne pas ? Sans doute ne le sait-il pas lui-même.

Car il faut bien le dire Bruno a tout de l’homme moderne désorienté. Communiste à l’heure de la chute du mur de Berlin et des atrocités de Milosevic en Yougoslavie, il ne sait plus trop où il en est. Loin de son quotidien parisien, il est des plus vulnérables. S’il essaie tant bien que mal de rester fidèle à ses idées politiques, sans grande conviction bien sûr, sur le plan sentimental, il a plutôt tendance à s’éparpiller. En couple avec Gaëlle (Emmanuelle Devos) depuis plusieurs années, il la trompe avec Nathalie (Ludivine Sagnier), une jeune adolescente pour qui il n’a aucune affection particulière. Plus tard, il tombera même sous les charmes de Mathilde (Pascal Buissières.

Perdu au milieu de cette forêt et du brouillard, le film et la vie de Bruno basculent alors vers quelque chose de plus mystérieux avec la rencontre de Béatrice (Kristin Scott Thomas). La force de Petites coupures vient de là. Avec son nouveau long métrage, Pascal Bonitzer part à la recherche du constant déséquilibre. En l’espace d’une scène, la comédie humaine peut se transformer en drame ou en conte fantastique. Les dialogues cherchent souvent le même point de rupture. Bruno se met à parler comme Jean-Pierre Foucault dans un moment en apparence grave tout comme Nathalie après s’être disputée avec lui et l’avoir mordu lui souhaite de « choper le tétanos ». Béatrice est sans doute le personnage le plus intéressant de ce point de vue là. On ne devine jamais ses motivations et elle manifeste une fâcheuse tendance au renversement de dernière minute. Avec Bruno, elle alterne le chaud et le froid.

Après l’énigmatique Rien sur Robert, le cinéaste a cette fois-ci choisi un titre programmatique. En deux mots, tout est dit. Petites Coupures comme le bricolage d’un scénario que Pascal Bonitzer a eu beaucoup de mal à écrire ayant à un moment de l’aide d’Emmanuel Salinger pour avancer ; Petites Coupures comme celles du montage qui passe brutalement de Bruno au côté de sa compagne un cutter à la main dans une agence de voyage au même personnage se réveillant un matin au côté de sa maîtresse un pansement à la main ; Petites Coupures, enfin et surtout, comme les blessures aussi bien morales que physiques que Bruno s’afflige à lui-même ou aux autres. Ce troisième long métrage confirme le goût du sadisme et de la cruauté de Pascal Bonitzer tel qu’il l’a déjà développé dans ses premiers films. Certains dialogues sont ici particulièrement savoureux. Bruno insulte Nathalie devant son amie Anne (Catherine Mouchet) sans savoir que sa maîtresse entend tout depuis la salle de bain. Quelques plans plus tard, Gérard traite sa femme de "pauvre conne" devant son neveu. Le sadisme de Bonitzer se manifeste essentiellement envers son personnage principal.

Sans grande force de conviction, Bruno est malmené, humilié et même blessé tout au long du déroulement de l’histoire. Il se coupe les doigts, se fait mordre, s’ emmêlent dans des histoires qui ne le regardent pas pour finir constamment abandonné. Face à Béatrice, il est désemparé. Ne sachant pas très bien quoi dire sinon les banalités d’usage, celle-ci n’hésite pas à lui dire que sa conversation est bien plate par moment. Bonitzer tire de ses moments les plus noirs, certaines des scènes les plus drôles du film. Par un savant découpage, il pointe au passage le ridicule de ses personnages comme lorsque Bruno menace de se blesser dans l’agence ou dans la scène où Gérard pointe un revolver sur sa tempe parce que son neveu refuse de discuter avec lui. Toujours ce déséquilibre.

Derrière l’aspect comique de chacun des personnages se cache un drame ou une détresse. Ils vivent tous dans un monde bouleversé. Le poste de maire de Gérard est menacé. Anne comme son amant Verekher (Hanns Zischler) sont gravement malades. Mathilde qui travaille avec Gérard de manière plus légère est complètement accro au portable. Nathalie, encore très jeune, n’est prise au sérieux par personne surtout pas par son amant. Béatrice a perdu sa mère dans des conditions mystérieuses et a dû lui cacher sa liaison avec son beau-père qu’elle n’aime plus aujourd’hui. Quant à Bruno, il ne sait plus ce qu’il veut. Il ne sait plus grand chose d’ailleurs. Il doit réapprendre à vivre. Ce difficile équilibre entre détresse et ridicule donne toute leur complexité et leur humanité aux personnages. Ils en deviennent petit à petit attachants. Le film doit ici beaucoup aux talents de l’ensemble du casting et notamment à Daniel Auteuil et Kristin Scott Thomas dont le tête-à-tête fonctionne à merveille. La mise en scène est là pour saisir au mieux leurs performances.

Si la vie de tous les personnages est sens dessus dessous, Pascal Bonitzer s’efforce lui à donner de l’ordre à son film. Il organise d’abord de nombreux effets d’échos et répétitions. Dans la première scène, Nathalie demande à Gaëlle comment on peut être communiste aujourd’hui. La même question est posée un peu plus tard à Bruno qui donnera la même réponse qu’avait faite son ancienne compagne. L’histoire des cartels que Béatrice explique à son compagnon de la nuit revient au moment le plus inattendu dans la chambre du mari. Plus subtilement, le dernier plan fait écho au premier. On y voit une femme se mettre du rouge à lèvre dans une glace indiquant peut-être que Béatrice pourrait prendre la place de Gaëlle. La musique va dans le même sens avec la répétition d’un même thème inquiétant et mystérieux tout au long du film. Dans tous les cas, la boucle est bouclée.

Pascal Bonitzer organise également la circulation d’objets qui font avancer le récit et tiennent le film unis. Il s’agit d’un revolver et d’une bague, symbole de fidélité qui passe ironiquement entre les mains de toutes les femmes de Bruno. Ce désir d’ordre contamine peu à peu les personnages et l’histoire. La nuit que Bruno passe en compagnie de Béatrice lui sert de révélation. A l’aube devant Notre-Dame de la Salette, le personnage vit une expérience mystique qui va peu à peu le transformer. Ce n’est que le lendemain, croyant avoir perdu Béatrice pour toujours, qu’il lui avoue son amour, exprimant ainsi pour la première fois du film une conviction profonde et irrémédiable. De même, Gaëlle trouve un nouveau compagnon sans doute plus satisfaisant. Béatrice, de son côté, est enfin libérée par la mort de son dernier compagnon. La scène finale est ici particulièrement représentative de l’esprit qui prévaut à tout le film. Du fait d’une ellipse de montage, un doute plane sur l’enterrement auquel on assiste. On ne sait pas bien qui est mort. Quand Bruno apparaît, il est physiquement changé mais toujours raillé par Béatrice comme si les choses n’avaient pas vraiment évolué. Si un certain ordre est revenu, il n’efface pas les incertitudes. C’est dans ce constant entre-deux et ce déséquilibre que le film trouve un terrain de jeu privilégié. Petites Coupures oscille ainsi entre le bleu du ciel et le gris des nuages.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 28 septembre 2004

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