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Virgin suicides

Les sœurs Lisbon, jeunes filles en fleurs à la fois innocentes et dangereuses, figures quasi mythiques de leur quartier. La "machine infernale " est actionnée par le suicide inexpliqué de la plus jeune, Cécilia, et plus personne ne pourra l’arrêter.


On pourrait reprocher à Sofia Coppola l’aspect clip de son film : surimpressions de visages sur des ciels bleus, petites étoiles qui scintillent dans les yeux de Lux (Kirsten Dunst, envoûtante) mais rien ne correspond mieux à l’ambiance du film que ces procédés un peu kitsch. Tous ces effets sont la mise en image du monde de ces jeunes filles qui disposent des autocollants fleuris un peu partout, tapissent leur murs de photographies de popstar et de la Vierge Marie, restent des heures plongées dans des catalogues ou écrivent le nom de leur amoureux sur leurs petites culottes.

De la même façon, l’ambiance seventies n’est pas un élément de distraction. L’époque choisie introduit une certaine distance, à la fois humoristique et nostalgique, et permet d’éviter l’écueil du film à thèse moralisateur (du type : Pourquoi se suicide-t-on ? Qu’est-ce qu’être une adolescente ? Qui est responsable ?). La bande-son a un rôle parallèle de "conditionnement". Mélange de compositions originales et de vieux tubes, elle nous enveloppe d’une mélancolie troublante et douloureuse.

A travers sa mise en scène, Sofia Coppola nous met dans la position des quatre garçons du quartier. Certes, nous avons plus accès à l’intimité des soeurs qu’eux mais la réalisatrice n’adopte pas une vision intérieure des jeunes filles. Ce que nous savons d’elles est le résultat de plans courts, comme volés à leur existence mystérieuse. Quand Cecilia se suicide, nous ne connaissons les incidences de sa mort que par la visite du prêtre ou de la journaliste.

La dichotomie intérieur/extérieur est très forte dans la composition de l’image. A l’extérieur, au lycée ou dans la rue, la lumière est douce, évanescente, caressante, évoquant une fin de journée automnale. A l’intérieur, l’ambiance est sombre et oppressante. La maison des Lisbon est dès le début plus un tombeau qu’un lieu de vie. Un tombeau gardé par Mrs Lisbon, une "femme égoïste" disent les garçons après-coup, une femme qui refuse que la vie entre chez elle, qui éloigne tout élément extérieur (comme les disques de rock). Une femme qui a fait de sa famille et de sa maison un lieu quasi foetal, certes protecteur et confortable, mais aussi étouffant à la longue (par exemple, on se rendra compte que le sous-sol dans lequel avait été organisé une fête n’a pas changé : les ballons, la vaisselle sont restés à leur place depuis le premier drame). Car, paradoxalement, les soeurs Lisbon ne se suicident pas pour quitter la vie : au contraire, elles se tuent par amour de la vie, parce qu’il n’y a plus d’autre solution. Elles meurent pour vivre. Elles choisissent en toute connaissance de cause ce chemin dont tous ont rêvé un jour mais que peu ont osé emprunter.

Le film traite de toutes les constantes des relations adolescentes : voyeurisme, fétichisme, idolâtrie sont ici exacerbés et poussés à l’extrême. Le film entier est une parabole de la mort et de la pourriture. Les vieux ormes qu’il faut couper, l’industrie de l’automobile qui s’effondre, la puanteur de l’usine qui se répand "même dans les quartiers les plus chics." Personne n’échappe à cette gangrène, à ce ridicule de la vie qui nous ronge de l’intérieur. Même Trip Fontaine, le play-boy, finit par se retrouver en thérapie de groupe. Personne n’est épargné.

C’est en cela que The Virgin Suicides est un bon film - non, pas un chef d’oeuvre, car le regard de Sofia Coppola et sa mise en scène sont encore en germe. Elle sait dépeindre avec justesse et émotion l’adolescence dans son vécu et dans ses incidences. Le rire et les larmes se mêlent facilement. Le film est à l’image de ces blessures secrètes qui ne demandent qu’à se rouvrir, de ces cicatrices qu’on finit par ne plus voir mais qui sont là, immuables. Nous sommes tous des adolescents qui faisons semblant d’être passés à autre chose ("Je suis un adolescent et j’ai des problèmes" s’écrie un trentenaire ivre avant de se jeter dans la piscine) et les soeurs Lisbon sont le symbole des fantasmes, des peurs et de la violence qui nous ont traversés un jour - même si ce n’était qu’en rêve.

par Clémence Parente
Article mis en ligne le 7 février 2005 (réédition)
Publication originale 27 septembre 2000

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