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La filière émeraude, de Michael Collins

La littérature américaine au sommet de sa vitalité...

Liam, après avoir fait quelques bêtises de jeunesse, doit quitter Limerick pour le New Jersey où il pourra peut-être commencer une nouvelle vie, grâce à la filière émeraude, nom poétique pour une organisation d’immigration clandestine entre Irlande et Etats-Unis.


Michael Collins signe avec ce premier roman une œuvre dense et dure mais surtout un roman magnifique et poignant. Son héros, dans lequel il se confie, lui qui est né à Limerick en 1964 pour finalement obtenir son doctorat à l’Université de l’Illinois, possède une force de vie saisissante malgré les affres dans lesquelles le plonge son arrivée illégale aux Etats-Unis. Les premiers jours de Liam sont difficiles, dans ce motel crasseux, le Star and Stripes, où il subit les douleurs physiques d’une étrange maladie qui lui fait perdre sa peau et lui laisse à jamais les cicatrices roses de la souffrance. Le début du roman est lent et violent ; violence de la déchéance physique, de la misère du motel et violence des personnages qui s’y trouvent. Sa rencontre, avec Sandy, jeune drogué qui incarne la face noire que le héros essaye de racheter, et sa compagne Angel, mineure et déjà prostituée, mais surtout adolescente enceinte, perdue dans cette misère qui est son quotidien, poussent Liam vers le départ et la fuite. Quand les premiers signes du rêve américain se sont déjà évanouis, il s’engage dans un autre mythe, celui de la route. Tout cela pourrait ressembler à un vrai nouveau départ, mais une seconde chance ne se gagne pas si facilement et le personnage devra aller la chercher dans les dernières pages du roman.

Cette seconde chance, c’est la course à pied, étonnante aptitude du héros qui se destinait à une université américaine et à une bourse avant de sombrer dans la spirale de la violence en Irlande. La bourse a disparu mais pas la course à pied. La route mène les trois désaxés dans un camp de fortune, Amérique de la misère, des caravanes et des taudis. Liam y cherche sa rédemption dans l’effort et court sous le coaching inepte de Sandy. Mais, on est loin de l’effort sportif, de la course au record, de la starification télévisuelle ; "survivre c’est le nom du jeu" et ce jeu est fait de sang, de douleur et d’effort. La période dans le camp est d’une beauté saisissante renforcée par la force des personnages depuis Sandy, fou et drogué ou drogué puis fou, qui rêve d’argent et de plaisir et s’engage dans une spirale de violence qu’il croit salvatrice mais qui n’est que destructrice ; jusqu’à Angel, souillée et sexuelle, mais pure comme le nom qu’elle porte, d’une pureté qui aide Liam à croire à sa rédemption ; en passant par la figure du père et de son chien, résurgences oniriques d’une conscience hantée par le passé et par l’Irlande, manifestation de l’échec de sa première vie, des erreurs que Liam doit aujourd’hui payer.

Roman de misère diront certains, mais tellement plus qu’un témoignage sur les clandestins irlandais ou sur les marginaux américains, La Filière émeraude est la preuve saisissante que la littérature américaine est une littérature vivante. La misère n’y crée pas le misérabilisme grandiloquent du discours sur l’injustice ; la douleur n’est pas repli stérile et plaintif sur soi mais nécessité de se ressourcer en soi pour se reconstruire, de plonger au plus profond du noir être pour survivre. La Filière émeraude n’est pas un "roman sur"... (la misère, les immigrés, l’Amérique). C’est un roman tout court. L’écriture sur soi et sur l’homme signifie réellement quelque chose et le je littéraire reprend tout son sens. La douleur n’y est pas affectation, pose ou stérilité névrotique, loin de la soupe littéraire marchandisée qui constitue trop fréquemment les rentrées littéraires, loin de ces trop nombreuses tentatives nihilistes, torturées, plus obsédées par elles-mêmes que par l’écriture. Michael Collins écrit avec une plume crue et brutale, un récit noir, douloureux mais porteur de rédemption.

par Matthieu-Paul Ergo
Article mis en ligne le 8 mars 2004

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