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Turner, Whistler, Monet

Exposition aux Galeries Nationales du Grand Palais à Paris du 13 octobre 2004 au 17 janvier 2005

Après Gauguin, Chagall, Vuillard, Signac, Matisse et Picasso, le Grand Palais s’attaque à Turner, Whistler et Monet dans une perspective comparative. Manifestement, l’exposition enchante le public : les salles ne désemplissent pas et les visiteurs ne tarissent pas d’éloges. L’exposition est doublement originale : d’une part, c’est la première fois qu’autant d’oeuvres des trois artistes sont réunies et d’autre part, trois institutions ont entamé une collaboration nouvelle pour mettre sur pied ce qui est présenté au public. En effet, l’exposition a été présentée durant l’été 2004 au musée des Beaux-Arts de l’Ontario à Toronto et repartira à la fin de l’hiver à la Tate Britain à Londres.


L’origine géographique des différentes institutions partenaires reflète celle des artistes : Turner est né près de Covent Garden à Londres, Whistler dans le Massachusetts aux Etats-Unis et Monet à Paris. Le parcours de l’exposition, de l’Amérique du Nord à Londres, en passant par Paris est finalement un retour aux sources. Faut-il aller cependant jusqu’à vouloir trouver un lien fort entre Whistler et le Canada, l’Américain ayant essentiellement navigué entre Londres et Paris, pour tenter de justifier le choix du musée des Beaux-Arts de l’Ontario ? Le lien est sans aucun doute Katharine Lochnan, conservatrice au musée des Beaux-Arts de Toronto, auteur de recherches sur Whistler. L’exposition a donc été conçue par le musée des beaux-arts de Toronto et a été organisée en collaboration avec le Grand Palais et la Tate Britain.

La muséographie, pour le Grand Palais, a été confiée à Vincen Cornu, architecte DPLG (Diplômé Par Le Gouvernement), qui n’en est pas à sa première collaboration avec les Galeries Nationales du Grand Palais. À cet égard, il aurait été intéressant d’en savoir plus sur le choix des couleurs des murs de l’exposition. Les premières salles sont entourées de murs d’un rouge (ou d’un orange ?) oppressant, et abritent majoritairement des œuvres de Turner aux couleurs chaudes. Les autres salles renferment les œuvres de Monet et Whistler, et sont d’un bleu rappelant les nocturnes de Whistler et les peintures aux sujets hivernaux de Monet. Les dernières salles sont faites de murs blancs peu séduisants et sont dédiées entre autre à Venise, le rapport entre le blanc et Venise restant peut-être énigmatique. Le rouge orangé rappellerait les couchers de soleil chers aux impressionnistes, le bleu est une évocation des nombreux paysages d’eau dans tous ses états qu’ils se plaisent à retranscrire et le blanc serait un clin d’œil aux paysages hivernaux qui ornent les murs de cette exposition. Il est d’ailleurs dommage que les personnes chargées de la muséographie d’une exposition ne s’expriment pas plus spontanément sur leur travail car la confrontation avec les oeuvres se fait forcément par l’intermédiaire d’un choix de muséographie.

Une belle exposition ...

Pour en revenir au contenu de cette exposition qui s’inscrit dans le cadre de la célébration du centenaire de l’Entente Cordiale entre la Grande-Bretagne et la France, une chose apparaît évidente : le choix de réunir les trois artistes pour permettre la comparaison in situ est une riche idée. Il n’a d’ailleurs jamais été donné de voir autant de toiles des trois maîtres réunies et l’exposition est en cela unique et mérite le détour. L’œil peut donc faire des allers et retours entre les différentes toiles (en se frayant difficilement un passage entre les rangs toujours serrés du public) pour se faire sa propre idée des rapports picturaux entretenus entre les trois artistes. Le cheminement dans l’exposition est ambitieux. Après avoir établi le glissement du réalisme à l’impressionnisme, il s’agit de mettre en valeur le lien entre impressionnisme et symbolisme, grâce aux rapports entretenus entre peinture et musique, et de mettre en valeur le lien entre peinture et poésie par l’intermédiaire de l’amitié qui liait Whistler et Mallarmé, pour clore la visite avec la Tamise puis Venise. Les toiles parmi les plus connues des trois artistes sont évidemment exposées et le public français sera heureux de pouvoir admirer quelques œuvres de Monet qui n’appartiennent plus au patrimoine français. Enfin, on peut être heureux de voir la place accordée à Whistler, artiste rarement autant mis en avant en France. Le public français se rappelle le portrait de la mère de l’artiste, dont le sous-titre est "arrangement de noir et de gris", exposé à Orsay à l’étage des impressionnistes et situé non loin des "variations en violet et vert". Avec ces deux tableaux logés au musée d’Orsay, les liens entre Whistler et la musique étaient perceptibles et le public français a, grâce à cette exposition du Grand Palais et grâce aux nombreuses nocturnes de l’artiste que l’on peut y voir, la possibilité d’approfondir le lien entretenu par Whistler avec la musique.

... trop pauvre en explications

Cependant, le sentiment de frustration est grand à la sortie. Le Grand Palais est extrêmement laconique sur les rapports entre les trois artistes, ou même sur l’intérêt pour l’histoire de l’art d’une telle confrontation. Les biographies des peintres sont mises en parallèle, les faits les rapprochant sont soulignés mais l’essentiel est absent. On pouvait attendre une réflexion qui n’ait pas peur d’aller au-delà du factuel et une analyse picturale des oeuvres qui donne des pistes au visiteur. Au final, la rencontre avec les trois artistes est nécessairement et seulement sensible, sans réelle réflexion. Un tel choix ne milite pas vraiment pour une histoire de l’art donnée comme science et donc comme nécessaire pour la recherche. S’il suffit de réunir en les classant les oeuvres de trois artistes qui se sont manifestement influencés pour aboutir à une réflexion, on peut se demander à quoi servent les chercheurs en histoire de l’art. Les explications ne sont en aucune façon superflues, quand on sait que les artistes construisaient leurs oeuvres. Si chaque artiste saisissait son pinceau un peu au hasard pour peindre quelque chose de très hasardeux, l’histoire de l’art n’aurait sans aucun doute pas l’importance qu’elle revêt en réalité. Quand les artistes suivent un fil directeur, quel qu’il soit, l’historien de l’art devient un référent incontournable.

Le Grand Palais ne le nie aucunement d’ailleurs. Il se contente seulement de limiter plus qu’au strict minimum (on frise d’ailleurs l’indigence) les panneaux explicatifs, pour fournir, d’un côté un catalogue riche d’explications et d’un autre côté, des audioguides qui accompagnent le visiteur dans son parcours en lui offrant un confort certain de visite. Étant donné le nombre de visiteurs, le choix du Grand Palais de limiter ses explications écrites se comprend. D’une part, la lecture aurait ralenti le rythme de visite des curieux, qui paient en moyenne dix euros leur place. D’autre part, une grande partie des gens serait sortie de l’exposition rassasiée, sans se sentir obligée de louer l’audioguide (cinq euros) ou d’acheter le catalogue (trente-neuf euros). Ce qui est critiquable, ce n’est pas d’avoir fait le choix de regrouper les explications dans un audioguide, mais c’est d’avoir fait le choix de proposer un audioguide contre paiement, en plus du billet, dont le prix est déjà élevé, et de n’avoir pas pris la peine de proposer de réelles explications écrites pour ceux qui ne peuvent choisir l’audioguide. La location de l’audioguide devient finalement une obligation pour qui veut réellement comprendre ce qu’il voit, ce qui permet d’éluder les problèmes de création et de mise en forme d’explications le long du parcours de visite.

Pour pallier ce manque d’explication, il peut être judicieux de consulter le site Internet du Grand Palais(d’où sont tirées les images de cet article) qui fournit quelques clés pour comprendre l’exposition, et d’aller faire un tour sur le site officiel de l’exposition qui permet de compléter la première explication. Enfin, pour les personnes qui aiment le support papier, L’Oeil, Connaissance des Arts et Beaux-Arts Magazine ont consacré un numéro de leur publication à l’exposition.

par Aurore Rubio
Article mis en ligne le 13 décembre 2004

Légende des images, de haut en bas, logo exclu :
- première image : Monet, Le Parlement, coucher de soleil, 1904, Zurich
- deuxième image : Turner, Scarlet sunset, 1830-1840, Londres, Tate
- troisième image : Whistler, Nocturne blue and gold, 1872-1877, Londres, Tate
- quatrième image : Monet, Pont de Waterloo à Londres, 1900, Paris, Musée du Louvre
- cinquième image : Whistler, Le Balcon, 1879, New York

Informations pratiques :
- artistes : Turner, Monet et Whistler
- dates : du 13 octobre 2004 au 17 janvier 2005
- lieu : Galeries Nationales du Grand Palais, entrée Square Jean Perrin, 75 008 PARIS (accès : Métro : lignes 1, 9 et 13 : station Champs-Elysées-Clemenceau ou Franklin-Roosevelt. Bus : lignes 28, 32, 42, 49, 72, 73, 80, 83, 93)
- horaires : tous les jours, sauf le mardi, de 10h à 20h, et le mercredi de 10h à 22h (du 7 au 16 janvier 2005, jusqu’à 23h). Fermeture des caisses 45 mn avant. Fermé le 25 décembre
- tarif : sur réservation de 10h à 13h : tarif plein : 11,1 euros ; sans réservation à partir de 13h : tarif plein, 10 euros - tarif réduit, 8 euros ; gratuité pour les moins de 13 ans, les bénéficiaires du RMI et du minimum vieillesse.
- catalogue de l’exposition : 23,5 x 29,7 cm, 264 pages, 200 illustrations dont 170 en couleur, 39 euros, coédition Réunion des musées nationaux / Tate Publishing, diffusion Interforum.

Pour aller plus loin sur Internet :
- France 5 en collaboration avec la RMN a réalisé un excellent dossier sur l’exposition
- pour tout savoir sur les impressionnistes, sur Turner et sur Monet

Pour aller plus loin en lisant :
- MESLAY (Olivier), Turner l’incendie de la peinture. Paris, Gallimard, octobre 2004. coll. La Découverte. 159p. prix : 13euros.
- RIOUT (Denys), Turner. Paris, Cercle d’art, avril 2004. coll. Découvrons l’art. 64p. prix : 16euros.
- ENAUD-LECHIEN (Isabelle), James Whistler, le peintre, le polémiste. Paris, ACR éditions, septembre 1996. coll. PocheCouleur. 192p. prix : 18euros.
- LOBSTEIN (Dominique), Monet et Londres. Paris, éditions à propos, 1er septembre 2004. 63p. prix : 10 euros.

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