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De A à Zen

L’archê et l’aura du zen

Zen. Littré qui ne se trompe jamais serait bien en peine de me donner une définition du terme. Et pour cause. Aujourd’hui tout est zen. Le management. L’écriture. La cuisine. L’écriture, la musique, la peinture. Tout. Le Zen est à la mode. Mais derrière cette omniprésence du terme, ne peut-on pas se demander dans quelle mesure cette consumérisation du terme occulte ce qu’est et demeure le zen ? Au-delà de la mode, au-delà de ces phénomènes ne peut-on pas s’interroger et faire route vers le zen ?


Comment aller à la rencontre de ce qu’est le zen ? Comment faire signe et cheminer vers cette expérience millénaire, originale, déroutante ? Comment retourner derrière la trame qui nous fait oublier l’objet, l’experience zen ? Avec méthode. La méthode n’étant que l’art et la manière de poursuivre son chemin [1].

Notre projet tout au long de notre article sera relativement simple : cheminer de A à Z. De l’archê au zen.

L’éclosion du zen en Europe

Notre propos ne sera pas d’écrire zen, mais d’écrire sur le zen. Et donc de nous interroger sur l’histoire de cette tradition spirituelle. Quiconque consultera son dictionnaire aboutira à la définition :

Zen, n. m. et adj. inv. - 1895 ; mot japo., du chin chan et du sanskr. dyana "méditation". Secte bouddhique du Japon (venue de Chine au XIII°), où la méditation prend la première place, et qui, recherchant la beauté, a beaucoup contribué au développement des arts japonais.

Que nous apprend cette définition ? D’abord l’époque à laquelle apparait le terme zen dans la langue, et mieux dans l’esprit et la culture europénne : la fin du XIX° siècle. A cette époque, certains écrits de la tradition hindouiste et bouddhiste commencaient à être connus des intellectuels européens : Nietzsche, par exemple [2], était très intéressé par cette tradition et cette "religion" qui se dévoilait alors et qui attirait tant par son exotisme que par la radicale différence de son herméneutique. La définition précise également que le zen est une "secte bouddhique". Est-ce à dire que le zen est une secte et qu’il conviendrait d’urgence que certaines missions parlementaires se prononcent sur le caractère licite d’une telle entreprise ? Non. "Secte" vient du latin secare qui veut dire "couper" comme le sécateur coupe la rose. Une secte bouddhique comme le protestantisme est une secte du christianisme. Rien d’inquiétant donc. Le zen étant en effet la dérivation d’une tradition spirituelle issue de l’Inde et plus particulièrement du bouddhisme mahayana. Enfin, ce que précise cette définition c’est ce sur quoi porte le zen : une phénoménologie et une esthétique qui ont contribué au développement des "arts japonais".

(JPEG)Du bushi à l’ike-bana en passant par la cuisine, la calligraphie, la musique... le zen a influencé non seulement les "arts japonais" mais l’Esprit de ce peuple qui a été infusé, tel le thé, par les feuilles zen. C’est au travers de ces "arts", de leur actualité phénoménale que l’Occident s’est trouvé petit à petit charmé, envoûté par la simplicité et l’immédiateté de l’expérience artisique zen. En effet, suite aux relations commerciales naissantes entre le Japon et l’Occident [3] qui ont contribué à faire connaître au monde entier non plus l’eschatologie et la sotériologie bouddhiques mais aussi ses Arts.

On conçoit que l’ensemble de cette vague japonisante que l’on peut situer à la fin du XIX° siècle ait été propice à une première diffusion de certains motifs culturels japonais. Toutefois, le zen à l’époque n’était pas réellement entendu. Mieux, certains japonais à l’instar de Nitobé et de son ouvrage publié en 1899 à Philadelphie, Bushido, l’âme du Japon initièrent un mouvement de vulgarisation de la culture et de l’Esprit japonais.

Dès lorts, certains Occidentaux, séduits par les récits et par les textes qui circulaient firent le projet d’aller directement aux sources de cette culture qui leur semblait prometteuse, riche et emplie de mystères. Ainsi, l’allemand E. Herrigel se décida-t-il à partir au Japon. Il justifie son attrait pour le Japon en général et pour le zen en particulier dans son petit ouvrage qui rendit eut un certain écho en Europe : Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’Arc [4]. Il y écrit :

"Il faut que j’explique pourquoi je me suis tourné vers le Zen et pourquoi, afin de m’en faciliter l’étude, j’ai voulu précisément m’initier à l’art du tir à l’arc. (...) J’étais devenu maître de conférences, on me demanda si je voulais étudier l’histoire de la philosophie à l’Université impériale de Tohoku. Je saisis cette occasion avec joie ; j’avais une possibilité d’étudier le pays et le peuple japonais, et la perspective d’entrer en rapport avec le bouddhisme, sa mystique. (...) J’avais entendu dire qu’une tradition conservée avec soin s’y perpétuait, ainsi qu’une pratique vivante du Zen. (...)Ce fut l’un de mes collègues, (...) que je demandais de m’introduire comme élève auprès de son instructeur, le célèbre maître Kenzo Awa. (...) Ma demande ne fut d’abord pas agréée par le maître..." [5]

Ce livre, sorti en 1948, préfacé dans son édition française par D. T. Suzuki, ainsi que la somme de ce dernier sur le bouddhisme Zen, ont contribué à faire connaitre et à diffuser encore plus largement le zen à un cercle plus large de lecteurs, de penseurs tel Heidegger qui dans Acheminement vers la parole met en scène un entretien entre "un japonais et un qui demande" [6].

Enfin, c’est avec l’arrivée de Taisen Deshimaru [7] en France, fin 1967 [8], et la fondation de dojo tant en France qu’en Californie, que la tradition du Zen-Soto put être exportée et trouver un nouveau substrat sur lequel prendre racine et pousser. Deshimaru fut l’auteur de nombreuses traductions de textes canoniques zen.

Or, à mesure que le zen se faisait plus accessible, celui-ci fut recupéré, repris et advint le marketing du zen avec une glorification de la zenitude, solution de tous les maux urbains, bobos, branchés : à tout problème une solution zen, à toute vague une attitude zen. Être zen pour se fuir, fuir le monde, fuir ses resonsabilités. Tout ceci pour le coup est bel et bien un contre-sens absolu et total du projet et de l’ambition zen.

I shin den shin : archê et aura du zen

Cette transmission du zen et sa progressive diffusion en Europe d’une part et en Occident d’autre part n’est, finalement, qu’un écho lointain de ce qui se passa lors de la médiation entre la pensée indienne, bouddhiste et brahmanique, et la pensée chinoise. L’histoire du zen n’est au final que l’histoire de cette médiation de coeur à coeur, d’âme à âme, de corps à corps, entre un Maître, un patriarche et son disciple, son élève.

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Pratiquer le zen, c’est contribuer à la diffusion de son Esprit. C’est s’inscrire dans ce processus de transmission de mon âme à ton âme [9] entre maître et Eleve. Cette histoire retrace celle du fil d’Ariane de la pensée zen qui se rattache à la tradition bouddhique. Elle-même se noue alors qu’un prince indien, vivant dans un riche palais du Cachemire, fit une quadruple rencontre hors de son palais qui devait lui faire prendre conscience de l’impermanence des choses et de l’instabilité phénoménale du cosmos. Du sermon de Bénarès jusqu’aux pérégrinations d’un moine indien se rendant en Chine pour communiquer l’Esprit du dharma, il n’y a qu’un mot : dhyana que les chinois traduisirent par tch’an et que les japonais comprendonrt sous le terme zen.

Tenter de sonder l’origine, le principe fondateur du zen est-ce pertinent ? Oui. Dans les limites d’une entreprise historiciste. Non si l’on s’efforce d’apporter une réponse performative.

Les futurs articles de ce dossier ne seront au final que des réponses et des illustrations de ces deux perspectives : du "a" comme archê ou comme aura au "z", si la tension, si le champ d’investigation initial diffère, l’aboutissement est le même. La flèche, une fois lancée se précipite vers sa cible. Ainsi, nous pourrons soit les rapporter plutôt à l’aspect archétypal, c’est-à-dire celles et ceux qui s’efforceront de faire signe vers le fondement abyssal du zen à son Urgrund pour employer un terme allemand, soit au rayonnement et à l’actualisation phénoménale que le zen peut avoir tant d’un point de vue artistique que culturel.

1. L’archê du zen

Une petite série d’article s’efforcera de tendre vers le coeur du zen.

Ainsi, nous verrons dans un article en quoi le zen est un dérivé de la dhyana indienne et comment petit à petit celle-ci fut médiée d’abord en Chine, puis au Japon. Que le Zen soit d’abord une pratique, une médiatation, nul ne saurait le contester, ni le remettre en cause. Mais que le Zen soit aussi et principalement une pratique de médiation et même une pratique de la médiation, voilà qui scelle justement son objet médidatif. En effet, si le zen a pu se diffuser ainsi, s’il a pu rayonner avec autant d’intensité hier et maintenant c’est que quelque chose en lui participe et actualise la dynamique de la médiation.

Un autre se focalisera autour de la figure du moine qui importa l’Esprit Zen au Japon : Dogen. A partir de ses écrits, et de la republication récente du Shobogenzo [10] afin d’en sonder l’actualité.

Enfin, nous tenterons de voir en quoi la pensée présocratique et le zen comporte de nombreux points communs afin de dresser, ou plutôt d’esquisser en quelques traits les lignes de convergence possibles entre ces deux manières d’appréhender et de saisir le kosmos.

2. L’aura du zen

(JPEG)Ikkyu. Comme articulation entre ces deux aspects du zen. Ikkyu comme figure, comme mythe. Comme motif d’une culture bifide : tant zen que japonaise. Zen car ce fut c’est un maître incontestable en dépit de l’incompréhension qu’il suscita à l’époque, incontesté car il contribua grandement à asseoir l’aura du zen. Ainsi, c’est à ses disciples que l’on doit la formalisation du rituel de la cérémonie du thé. Ainsi, au travers d’un article prenant comme point de départ un manga à vocation biographique autour de cette figure, il s’agira de voir et de penser Ikkyu autour du prisme qu’il fut pour le zen. Enfin, nous laissons la porte ouverte à de futurs développements tant sur la poétique du zen que sur d’autres arts, d’autres manière d’exprimer la sensibilité humaine au travers du prisme zen.

Bibliographie indicative commentée

CouvertureAuteurTitreCommentaire
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J. BrosseLes maîtres zenIntroduction présentant la lignée zen depuis Boddidharma jusqu’à Deshimaru. Quelques textes fondateurs : une excellente introduction à compléter avec Zen et Occident.
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J. BrosseZen et OccidentEtude de philosophie comparative avec d’intéressants parallèles entre les présocratiques, Heidegger et le zen.
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L’univers zenJ. BrosseEn complément des deux autres ouvrages de M. Brosse, des documents iconographiques permettant d’avoir une autre appréhension de cette culture, de cette civilisationnelle zen.
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Polir la luneJ. BrosseQuelques textes de Dogen commentés par J. Brosse. Moins efficace que celui de Deshimaru, plus touffu : Brosse a préféré coller au texte d’un point de vue litéral plu^tôt que d’essayer d’en rendre la moelle.
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Le trésor du ZenDeshimaruUn commentaire et une présentation limpide et accessible des oeuvres de Dogen par Deshimaru. Un excellent moyen pour se familiariser avec la littérature zen.
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Le chant de l’immédiat satoriT. DeshimaruCommentaire d’un joyau du zen écrit par Yoka Daishi, simple, traduisant la soudainete de l’Eveil.
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le chant de l’éveilKodo SawakiCommentaire et présentation du même texte, le Shodoka. Une maîtrise et une sérénité dans le texte qui impose le silence, une amplueur bien plus imposante que dans les lignes rédigées par son élève Deshimaru
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Zen et arts martiauxDeshimaruOù comment nouer le bushi avec l’esprit du zen.
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L’esprit du ch’anDeshimaruDans cet ouvrage, Deshimaru présente l’un des 4 textes fondateurs du zen, attribué traditionnellement au troisième patriarche : Sosan.
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Discours et sermonsHouei-NengLe sixième patriarche prêchant la Voie. Ce petit ouvrage permet d’avoir le discours et l’histoire d’un cheminement par un homme, un moine, un maître. Simple. Clair. Tranchant. Diamant coupeur.
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Nuages fousIkkyuEnfant d’un ancien empereur, Ikkyu est une figure clef du zen et du patrimoine culturel japonais. Il incarne le renouveau du zen et sa déclinaison à l’ensemble de la société japonaise.

Nasse à liens

Pour un autre son de cloche

par Hermes
Article mis en ligne le 28 août 2006

[1] Le grec odos signifiant "chemin".

[2] Nous renvoyons le lecteur par exemple à L’Antéchrist où nonobstant certains contresens, Nietzsche fait explicitement référence au bouddhisme : par exemple "Le bouddhisme implique un climat très tempéré, des moeurs d’une grande largeur d’esprit, mais proscrit tout militarisme ; et il implique que le mouvement ait atteint son foyer dans les choses supérieures et même savantes. On veut la belle humeur, le calme, l’absence de désir comme but suprême et, ce but, on l’atteint. Le bouddhisme n’est pas une religion où l’on ne fait qu’aspirer à la perfection : le parfait y est la norme" (§21). Ou encore "le bouddhisme est une religion, pour les hommes tard venus" (§22)... Le bouddhisme sert de contrepoint à Nietzsche pour effectuer sa critique du christianisme.

[3] Nous renvoyons à cet épisode bien connu de l’histoire du Japon où un navire de guerre de la flotte américaine mouilla en 1853 au large de la baie d’Edo.

[4] Cf. E. Herrigel, op. cit., Dervy.

[5] Cf. op. cit. p. 28 sq.

[6] A ce sujet, celles et ceux qui justifiraient l’intérêt de Heideggerà la pensée japonaise en faisant état de son appartenance au N.S.D.A.P en 1933 ne pourraient prétendre saisir ce dont il est question et dans sa pensée et dans l’expérience du Zen : ce que rapporte Heiddeger avec le Ich-Du-Erlebnis - p. 121 - qui n’est qu’un signe autre du I shin den shin zen.

[7] Deshimaru est une figure clef de la diffusion du Zen en Eutope. Il a instruit et accompagné de nombreux européens jusqu’au satori lesquels ont pu à sa suite, tel J. Brosse, poursuivre non pas son enseignement mais celui du Zen.

[8] "Deux ans après la mort de son maitre, à la fin de 1967, Taisen Deshimaru arrivait à Paris. Bientôt, quelques disciples se réunirent autour de lui et il se consacra entièrement à sa mission : introduire en Europe le vrai Zen, non plus des discussions savantes autour du zen, mais la pratique : zazen." Cf. J. Brosse, Les maîtres Zen, p. 326.

[9] Locution traduisant I shin den shin.

[10] Un lien instructif pour en savoir plus sur cette oeuvre de Dogen : ici

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