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Gonzales : Solo Piano

Le contrepoint d’un univers pornographique...

Gonzales, déjà bien connu dans les milieux underground, commence à se faire un nom auprès d’un public plus large. Hot, provocateur, détonant, il propose à ses auditeurs de les convier dans un univers personnel, déjanté, décalé, mais riche et fécond. Visite guidée des mystères trash et déroutants de Gonzo 1er... et de leur envers, incarné par ce dernier album.


Partir à la rencontre de l’artiste exige de s’immerger dans un univers foisonnant et susceptible d’être déroutant. Point d’art sans perspective. Pas de création à rebours d’une société, d’une époque, d’un temps.

Gonzales est un personnage, une entité virtuelle, un pseudonyme. Comprendre sa genèse permet de saisir plus finement à quel point justement son dernier album est en total contrepoint de toute sa personnalité artistique, à moins qu’il n’y ait pour de bon un infléchissement de ce que l’artiste souhaite nous communiquer.

Un environnement à rebours : l’underground dans le texte

(GIF) Tenter de comprendre le personnage passe par un voyage dans des ambiances glauques, suspectes. Au commencement était l’étrange, le bizarre, le dérangeant. Tout ce que nous pourrions penser sous le spectre du porno. Ce terme surprendra et pourtant, nous tenterons de justifier notre position. En effet, le terme vient du grec porné signifiant "courtisane, prostituée". Graphein renvoie là à l’acte d’écriture. Or, lorsque Gonzales crée, puisant dans son imaginaire, il se tient - stare - face à son public, face au public - pro. Fondamentalement, tout artiste, dès lors qu’il puise et qu’il propose au public sa propre vision du monde, se soumet à une pro-stitution. Entendu ainsi, l’art deviendrait alors un moyen d’écrire et de décrire ce qui peut justement s’exprimer au travers de cette posture. La "pornographie artistique" est donc possible : Gonzales puise dans l’univers pornographique, underground pour constituer son référentiel artistique.

Bien plus, le choix de son nom d’artiste est ce qui révèle au final ses principaux référents. En effet, l’une des acceptions du terme Gonzo renvoie directement à la pornographie. Enfin, dernier élément permettant de construire l’univers gonzalien, c’est sa collaboration avec une autre artiste sulfureuse : Peaches, au sein du label Kitty-Yo . Peaches étant le négatif sexuel de Gonzales, et Peaches étant elle-même une anti-femme, Gonzales opère ainsi une parfaite révolution axiologique en devenant artistiquement porno-graphe et en se rêvant, non sans un humour cynique, "président" avec l’album Presidential Suite.

Le contrepoint des mains : cum piano solo

Si l’ancrage dans l’univers pornographique est effectif (en pensant la pornographie en tant que projet), dès lors l’album Solo Piano constitue un contrepoint dans l’univers que nous avons tenté de décrire.

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En effet, comme pour mieux nuancer justement sa position, Gonzales cette fois se focalise autour des mains, ces instruments indispensables à toute musique. Les mains comme media artistique : à la fois médium, c’est-à-dire ce grâce à quoi le musicien interagit avec son instrument, et à la fois médiation du toucher entre la sensibilité de l’artiste et la plasticité musicale. La main est alors évoquée sur la pochette de l’album où elle esquisse en ombre chinoise le profil de Gonzales. Le négatif est ici alors clairement visible. Les mains comme métonymie de l’artiste, comme lien entre chacun : tendue, on la saisit pour saluer, pour se retirer.

Seul Gonzales est, ici, l’artiste. Il fait donc face à son public, lui proposant exclusivement ses mains qui déploient alors tout ce que l’artiste a pu glâner d’expériences, de luttes, de coups de poing. Cette solitude se traduit également par le fait que cette fois les platines sont rangées, les loops oubliées, et seules les cordes, les marteaux et le noir et blanc des notes effleurées tintent. Juste un piano solitaire. Gonzales seul a créé cet album, composé ses mélodies ; tout y est de lui. Ce faisant, Gonzales s’inscrit par rapport à ces pianistes tels que Keith Jarrett lors de son concert à Cologne ou à Paris .

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De par la construction de cet album, Gonzales nous plonge immédiatement dans son intimité fantasmatique, qu’il nous brosse tout en nuance. Toutes ses compositions ont ce je-ne-sais-quoi qui rappelle les Nocturnes de Chopin, mêlant espièglerie avec une certaine noirceur. Or, nous pénétrons d’autant mieux dans cet univers que son esthétique n’envahit pas l’auditeur. Juste un piano. Juste des mains. Et à l’instar de l’expert ès ombres chinoises, Gonzales nous dévoile seize saynètes musicales correspondant tout à fait à des moments de vie, d’espoir, de peur, de joie... Chacun s’y retrouve. Gonzales cette fois nous propose une musique épurée. Or cette épure est l’exact opposé de la prolifération musicale et de l’excès qui caractérisaient son exubérance antérieure. Pourquoi cette révolution, ce changement de perspective ?

Sans vouloir ni réduire, ni épuiser le sens artistique de ce que nous propose l’artiste, risquons cette hypothèse : face à l’accélération du monde et à ses relents cyber-punk mal digérés, le calme de l’épure n’est-elle pas désormais réellement ce qui fait face aux mouvements sociaux, à l’accélération désormais perpétuellement nécessaire pour rester in ? Gageons que le label de l’album, No Format , soit là encore un pied de nez au formatage et à la standardisation des oreilles.

Ce minimalisme est donc la traduction logique de la volonté de Gonzales de rester à rebours, d’écrire pour se tenir face à nous. Pour que nous-même fassions face à nous-même. Juste un piano. Voici la pornographie musicale selon Gonzales dans tout ce qu’elle a de plus nu. De plus pur. De plus exposé.

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par Hermes
Article mis en ligne le 5 octobre 2005

Pour en savoir plus...

- Une interview de Gonzales