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Radiohead : Amnesiac

Après un pari risqué mais réussi avec Kid A, Radiohead nous a livré en juin 2001 son cinquième opus. Avec une sortie très proche de celle de Kid A (paru en octobre 2000), Amnesiac exprime une continuité. Ces deux albums forment un tout, ils sont issus des mêmes sessions d’enregistrement. Mais ils sont pourtant différents...


Dès la première écoute, Amnesiac se révèle plus facile d’abord, ce qui se confirmera par la suite. De plus, sur Kid A régnait une atmosphère constante, ce qui n’est pas le cas ici, où Radiohead balance entre plusieurs styles : réminiscences de Kid A ("Packt like sardines in a crushd tin box", "Pulk/pull revolving doors", "Morning Bell/Amnesiac", "Dollars and Cents", "Like spinning plates"), mais également des chansons qui ne sont pas sans rappeler l’époque d’OK Computer ("Pyramid song", "You and whose army ?", "Knives out", "Life in a glasshouse"). Amnesiac est un grand et beau voyage où les passeurs de Radiohead nous font traverser leur monde, leurs paysages, leurs rêves, leurs peurs... pour notre plus grand plaisir.

L’album débute avec une chanson emballante, "Packt like sardines in a tin crushd box", que le guitariste Johnny Greenwood qualifie lui-même de "poppy". On y retrouve les sons particuliers de Kid A et le rythme entraînant d’"Everything in its right place", affirmant ainsi le goût prononcé de Thom Yorke pour tout ce qui touche à la musique électro. D’emblée, en tout cas, l’atmosphère nous paraît moins sombre que sur Kid A. Ceci ne se confirmera pas avec "Pyramid song", déprimante complainte où, à travers son piano et sa voix, Thom Yorke nous prend par la main et nous entraîne dans sa lente et progressive noyade. On y croise de curieuses choses cachées dans les profondeurs, mais Thom nous l’assure : il n’y a rien à craindre ("There was nothing to fear and nothing to doubt") ! Même pas peur...

Le titre suivant, "Pulk/pull revolving doors", ne présente pas énormément d’intérêt sauf pour remarquer que Thom connaît très bien les différents types de portes et qu’il adore trafiquer sa voix - ou plutôt la cacher - (cf. "Kid A" et "Like spinning plates") et les sons. Tout l’intérêt est dans le texte, très profond : Thom voulait représenter des portes qu’on ne peut pas refermer une fois franchies, des portes après lesquelles on ne peut pas faire demi-tour. "Nous sommes des portes qui tournent" dit-il. L’essentiel est qu’il se comprenne...

"You and whose army ?"... Cette chanson est une perle, une sucrerie, un bijou. Ecoutez et imaginez : vous êtes allongé sur le dos, les mains derrière la tête, dans un champ situé au milieu de nulle part, il fait beau, on est en été, vous regardez le ciel bleu, les nuages défilent lentement sous vos yeux, votre bouche est imprégnée du petit goût acidulé du bonbon que vous sucez depuis un bon moment, innocemment, en ne pensant à rien, le sourire jusqu’aux oreilles. Vous êtes bien, calme, reposé, heureux. Un vrai bonheur, un pur délice. Cette première partie (Johnny à la guitare, Thom au chant) finie, tout s’emballe, la batterie rentre, et Thom s’énerve sur son piano jusqu’à un ultime retour au calme. La cinquième chanson de l’album, "I might be wrong", nous envoie en pleine tête un riff explosif auquel Radiohead nous avait peu habitué ces derniers temps. Par dessus ce riff, la voix de Thom, douce, calme, posée, fait contraste. Elle exprime (par des paroles elles-mêmes pas très compréhensibles) ses interrogations, ses incompréhensions, ses doutes, ses peurs... Celles-ci ne s’apaiseront qu’à la fin, lors d’un dernier moment de répit sonnant comme un havre de paix au milieu d’un océan de lave.

Après "I might be wrong", le quintette nous offre avec "Knives out" un cadeau empoisonné : enrobée de sucre, cuisinée à l’arsenic, cette chanson traitant ouvertement et avec des termes explicites de cannibalisme peut faire froid dans le dos. La musique, elle, à l’opposé, comporte tous les ingrédients qui faisaient notre joie aux périodes The Bends et OK Computer : finesse d’écriture, mélodie subtile, chant un rien déprimé, bref, une chanson belle et émouvante que l’on aimerait écouter encore et encore et encore... Et puis le clip (avec Emma De Caunes), délibérément fantaisiste et foutraque, qui ne se prend pas au sérieux, finira de convaincre ceux que les paroles avaient refroidis.

C’est une surprise de retrouver sur Amnesiac une nouvelle version de "Morning Bell", intitulée "Morning Bell/Amnesiac". Etrange, détraquée, elle ne fait pas oublier l’originale, plus dépouillée, plus simple (dans cette version, l’accompagnement, trop riche, fait de l’ombre à la voix de Thom), plus intrigante, plus sensible, bref, meilleure. Ainsi, "Morning Bell/Amnesiac" est intéressante, mais pas forcément utile. "Dollars & Cents" ressemble fortement à un ovni... Entêtante, hypnotique, lancinante, "Dollars & Cents" retranscrit parfaitement la volonté de Thom Yorke de faire de sa voix un instrument à part entière et non un élément détaché du reste.

Après un "Hunting Bears" constituant plus une pause dans l’album qu’un réel titre, Amnesiac laisse place à un flamboyant "Like spinning plates" où Thom Yorke chante à l’envers sur une mélodie mécanique et enrayée. Pas simple, tout ça, mais diablement efficace. Il n’y a qu’à entendre la version live de "Like spinning plates" sur l’EP I Might Be Wrong - Live Recordings, sorti il y a quelques mois déjà, pour apprécier à sa juste valeur cette mélodie enivrante et envoûtante, et également pour mieux comprendre la nouvelle ligne de travail que nos cinq compères d’Oxford ont adopté depuis Kid A. Ceci se vérifie sur "Life in a glasshouse", dont on avait pu apercevoir (et entendre) quelques bribes sur "Meeting people is easy", l’excellent documentaire de Grant Gee montrant le groupe lors de la tournée d’OK Computer (1997-1998). On y voyait Thom Yorke à la guitare entamant les premiers couplets - légèrement différents de ce qu’ils sont aujourd’hui - de "Life in a glasshouse". Comme pour "Like spinning plates", on se plaît à imaginer la chanson telle qu’elle aurait pu être si Radiohead avait continué dans la même veine qu’OK Computer. Mais il n’en est rien, alors inutile de revenir là-dessus. Le groupe a réellement pris un virage serré, à l’image de Thom Yorke, qui confesse à qui (ne) veut (pas) l’entendre qu’il ne peut plus voir sa guitare, qu’il déteste en jouer, qu’il y est pourtant obligé, mais qu’il ne compose plus avec. Alors il joue du piano. "Life in a glasshouse" en est la magnifique preuve : accords lancinants au piano, orchestre délicieusement jazzy, mélodie parfaite, texte aiguisé à souhait... Cette chanson nous donne une leçon sur le thème "comment faire du neuf avec du vieux ?". L’art de se recycler, c’est ça le secret de Radiohead.

par Pierrot
Article mis en ligne le 21 septembre 2005