Artelio

accueil > dossier > Visages du réel > article




 

1974, une partie de campagne

Un coup d’éclat de Raymond Depardon

Interdit d’écran depuis 1974, à la demande de Valery Giscard d’Estaing, 1974, une partie de campagne sort enfin cette semaine dans un contexte politique parfaitement approprié. Plus qu’à Valery Giscard d’Estaing, le documentaire s’attache aux mécanismes d’une campagne électorale. Un document historique très intéressant diffusé aussi sur arte dans le cadre des mercredis de l’histoire la veille de sa sortie en salle.


(JPEG)Le véto posé par Valery Giscard d’Estaing à la diffusion du document pendant toutes ces années posait la piste d’un portrait à charge un peu semblable à celui que réalise le personnage interprété par Woody Allen sur Alan Alda dans Crimes et délits. On s’attendait au portrait d’un homme politique froid et cynique prêt à tout pour parvenir au sommêt du pouvoir. C’était mal connaître Raymond Depardon. Celui-ci s’intéresse en fait bien peu à la personnalité du candidat. Depardon ne met pas en avant son programme, les débats d’idées. Une scène est parfaitement représentative de sa démarche. Il nous montre toute la préparation du débat télévisé entre les deux tours sans en montrer le contenu par la suite. Depardon suit Valéry Giscard d’Estaing en gardant ses distances. Il ne débat pas avec lui. Il est seulement là pour enregistrer tout ce qui se passe.

Alors que voit-on ? Le film suit Giscard en campagne sur le terrain aussi bien qu’à Paris. On le voit dans son intimité familiale, en réunion ou en meeting. Il enregistre les défections et les soutiens à sa candidature, s’inquiéte de la réaction de la presse à son discours et met en place sa stratégie. Il est en général très entouré sauf lors de la dernière journée où on le voit seul attendant les résultats. La première demi-heure s’attache à l’avant premier tour. Le candidat est en concurrence à droite avec Chaban-Delmas. Le reste est uniquement consacré aux événements survenus entre les deux tours. Dynamique, Valery Giscard d’Estaing représente une France qui souhaite se moderniser et s’ouvrir à l’Europe. Des trois candidats aperçus, il est le plus à l’aise à l’image. Et c’est bien là tout le propos du film.

(JPEG)Depardon dans son documentaire enregistre surtout une nouvelle façon de faire de la politique. La radio et la télévision permettent aux candidats de s’adresser à tous les français. La politique devient d’abord une affaire d’image et Giscard D’Estaing l’a parfaitement compris. Sa simple démarche de demander de faire filmer sa campagne le montre bien. L’essentiel est ici de parfaire une image consensuelle qui ne heurterait pas les électeurs. Le candidat se refuse ainsi à toute attaque personnelle agressive contre ses concurrents, choisit avec précison les lieux de ces déplacements où il faudra faire venir un maximum de monde par la suite. Le show buiseness s’en mêle aussi. Sheila, Dany, Mireille Matthieu ou Charles Aznavour chantent à ses meetings. Et à chaque déplacement, Valery Giscard d’Estaing est assailli par une foule qui vient le voir, le toucher. Le documentaire propose d’ailleurs des moments très étranges où on voit par exemple toute la famille s’arrêter à table pour le regarder parler à la télévision ou lui-même commentant impatient les emissions télévisées post-electorales.

Depardon met en définitive à nu le fonctionnement du pouvoir et la naissance d’une nouvelle star à la fois actrice et spectatrice de son succès : le président de tous les Français.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 29 mai 2005