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A ma soeur, de Catherine Breillat

Le dernier film de Catherine Breillat après le sulfureux Romance X traite avec finesse de la première fois en amour à travers une relation entre deux soeurs à la physionomie et aux caractères très différents. Elena a une vision romantique de l’amour. Elle préfère perdre sa virginité avec un homme qu’elle aime, Fernando, qui est très fier de lui dire qu’il restera à jamais gravé dans sa mémoire pour cela. Anaïs, elle, voudrait perdre sa virginité avec un homme qu’elle n’aime pas, pour n’appartenir à personne.


Film de double initiation, A ma soeur ! est servi par une mise en scène sobre et pertinente qui parvient à susciter l’émotion et, ce qui est plus rare, à faire éclore le désir. La première tentative de l’Italien pour faire céder sa proie est rendue par un plan-séquence unique dans l’histoire du cinéma. Au moment de perdre sa virginité, instant si particulier pour Elena, les spectateurs assistent à la peur, aux longues hésitations de la jeune fille et aux négociations serrées que mène Fernando pour parvenir à son but. Mais Catherine Breillat fait encore une fois la preuve de sa virtuosité à se jouer des clichés et le film ne manque jamais d’humour. Dans la scène évoquée précédemment, le décalage entre les paroles de Fernando qui paraissent sorties d’une série pour teen-agers et la réalité de son objectif est à la fois cruel et ridicule. Comme l’est la phrase qu’il ne cesse de susurrer avec un accent italien pseudo-romantique, son "sésame ouvre-toi" pour convaincre Elena de coucher avec lui : "c’est une preuve d’amour".

Le film n’aurait pas tant de force s’il n’était aussi le témoin d’une relation passionnante entre les deux soeurs, faite de complicité et de rivalité, de fous rires et de jalousie voire de haine. La scène où l’on voit Elena perdre sa virginité à travers les yeux d’Anaïs pleurant au premier plan semble à la fois nous dire qu’un monde sépare les deux soeurs mais qu’elles ne font qu’une, comme si l’une était le double de l’autre. Le film révèle en tous cas deux jeunes actrices formidables. Anaïs Reboux en particulier donne à son personnage une présence incroyable et une sensualité inattendue.

D’une grande cohérence dans sa première heure et quart, le film prend un tournant surprenant avec le retour de vacances. Etape obligée de la chronique de vacances, il prend une allure terrible en tombant dans le fait divers. La fin est certes très bien menée. Les regards angoissés de la mère, le ballet terrifiant des camions sur l’autoroute, chacun semblant annoncer un accident, la solitude d’Elena face à l’incompréhension de sa mère et à la cruauté du père qui veut la faire examiner dès son retour. Tout est mis en place pour l’explosion finale. Mais celle-ci est difficile à élucider. Simple fait divers pour une fin rythmée, fantasme, produit métaphorique de la tension et de la violence sous-jacente des moments vécus précédemment ?

Film dans le film, elle rompt avec le ton de la première partie. Elle a le malheur de faire naître chez les spectateurs un certain soupçon de théorisation de la part de la réalisatrice, théorisation qui pouvait irriter dans Romance X, explicite dont l’absence faisait aimer A ma soeur ! jusque là.


De Catherine Breillat, on pourra aussi lire les critiques de Sex is comedy et d’Anatomie de l’enfer.

par Marina
Article mis en ligne le 21 juin 2004