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Amen, de Costa-Gavras

Costa-Gavras reste fidèle à sa vision d’un cinéma politiquement engagé. Il va droit au but et pose les questions de manière abrupte. Amen est au final un film très efficace qui aura le mérite de susciter quelques débats. Ulrich Tukur et Mathieu Kassovitz y sont par ailleurs très bien.


C’est l’histoire d’un train en marche que personne n’a su ou voulu arrêter. Un train qui a mené le monde occidental au coeur de la page la plus sombre de son histoire : la shoah. Pourtant, certains ont essayé de se battre jusqu’au bout pour faire connaître la vérité. Mais leurs efforts sont restés vains. La mécanique était trop bien huilée. C’est d’abord à ces hommes que Costa-Gavras rend hommage dans Amen à travers la personnalité de deux personnages venant de mondes totalement différents. Le premier est Kurt Geirstein officier de la waffen SS. Le second est Riccardo Fontana, émissaire du Vatican à Berlin. C’est leur engagement qui va révéler la lâcheté des autres.

Cette mécanique bien huilée, c’est aussi celle du film. Du suicide du jeune juif allemand en 1936 placé en ouverture aux dernières scènes du film, Costa-Gavras organise un suspense cruel autour des agissements de ces deux protagonistes car voués fatalement à l’échec par l’histoire. L’efficacité d’Amen passe surtout par un jeu constant de contrastes qui manque un peu de subtilité mais cette dernière qualité n’est pas vraiment recherchée par le film. L’affiche l’annonce bien en assimilant de manière caricaturale la croix chrétienne et l’emblème nazi. Costa-Gavras oppose ainsi la ville de Berlin prise dans la guerre et les bombardements et la cité papale, sorte de paradis sur Terre, déréalisé ou tout est histoire de conventions, entretiens et discussions autour d’une bonne table. Les choses gravent se jouent ici en coulisse tout comme dans la scène du repas de Noël organisé par Kurt pour ses compagnons dans laquelle il ne cesse de se rendre en cuisine pour écouter les voeux du pape. A noter par ailleurs que le film est entièrement tourné en anglais. Petite fausse note qui montre bien le souci de Costa-Gavras de s’adresser au plus grand nombre.

La mission du réalisateur est avant tout de soulever des questions et de témoigner de ce qui a ou n’a pas été fait. Sa fonction est un peu à l’image de celle de ses personnages, véritables "espions de Dieu" qui vont accepter de se compromettre en enfer pour voir le mal de l’intérieur. Kurt refuse de quitter l’Allemagne et reste un des principaux rouages de la solution finale puisqu’il fournit les gaz. Il assume ses responsabilités jusqu’au bout et essaie de résister de l’intérieur. Cette expérience du regard bien que douloureuse est malheureusement nécessaire. Il faut que quelqu’un se souvienne que ces choses ont été commises. Les nazis essaient d’effacer toutes les traces, toutes les autorités religieuses décident de fermer les yeux. Personne ne veut y croire malgré les preuves qui s’accumulent. Il faut donc aller y voir par soi-même pour être sûr, sûr que le pire n’est plus à venir. Costa-Gavras se gardera bien de nous montrer ce que Kurt a vu dans les camps. Il laisse la Shoah dans le domaine de l’indicible, de l’inmontrable. Aucune image comme aucun discours ou chiffre ne peut finalement rendre compte de l’horreur de ces actes.

Costa-gavras préfère alors sonder un système de lâcheté généralisée. Les protestants tout comme les catholiques jouent un rôle très ambigu face à Hitler. Ils sont favorables à sa politique anticommuniste et ne souhaitent pas provoquer un régime qui jusqu’ici a laissé les croyants en paix. Le pape pense avant tout à la sécurité des chrétiens en Allemagne. Les deux églises ne se sentent nullement responsables pour le sort des juifs, les excluant de leur vision de l’humanité. Les dernières images iront finalement plus loin en laissant entendre qu’une certaine collaboration a pu avoir lieu après la fin du conflit pour organiser la fuite de certains haut dignitaires nazis. Costa-Gavras s’attaque, enfin, aux Alliés qui n’ont jamais bombardé les voies de chemin de fer ou les camps. Toutes ces institutions apparaissent au final comme des collaborateurs passifs de la solution finale puisqu’ils ont su ce qui se passait mais n’ont rien fait contre, pas même protester publiquement. Même si c’est le genre de chose qu’on n’a jamais du plaisir à entendre, le discours moraliste de Costa-gavras n’a pas perdu de son actualité. Il interroge notre responsabilité quotidienne en tant qu’être humain avec l’espoir que le spectateur n’oubliera pas dès la sortie de la salle le malaise suscité par le film.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 6 octobre 2004