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Arrête-moi si tu peux !

A peine quelques mois après le succès de Minority Report, Steven Spielberg fait son retour sur le écrans avec Arrête-moi si tu peux. Inspiré de l’histoire vraie de l’escroc Frank Abagnale, ce nouveau long-métrage lui permet de retrouver une légèreté absente de son film précédent. Derrière les apparences d’une comédie policière, le cinéaste revient sur certains thèmes essentiels de son oeuvre et renoue finalement avec la gravité de ses derniers projets. Un des plus beaux génériques vus ces dernières années et deux acteurs au sommet de leur talent. Du grand cinéma.


Le cinéma devait s’emparer un jour ou l’autre de la vie de Frank Abagnale. Au vu du résultat, on peut se réjouir que ce soit Steven Spielberg qui l’ait fait. L’histoire vraie de cet adolescent devenu un des faussaires les plus recherchés de l’Amérique dans la deuxième moitié des années soixante contient tous les ingrédients adéquats. On y trouve des personnages passionnants, du suspense et de multiples rebondissements. Art du faux et de la manipulation de apparences par excellence, le cinéma travaille déjà depuis des décennies les mêmes escroqueries que Frank Abagnale. Tout est dans l’uniforme et la crédulité de celui que l’on a en face. Tom Hanks parvient à nous faire croire l’espace de deux heures qu’il est un agent du FBI alors qu’il n’en est rien. Le public a besoin de croire ce qu’on lui raconte. A peine âgé de seize ans, Frank Abagnale a réussi à se faire passer pour un professeur, un pilote de ligne à la Pan Am, un médecin diplomé d’Harvard et un avocat. Il a au passage fabriqué des centaines de chèques et encaissé plus de 2,5 millions de dollars à travers les Etats-Unis et dans vingt-six pays.

Comme son personnage principal, Arrête-moi si tu peux soigne les apparences. La reconstitution des années soixante est particulièrement soignée. L’histoire de Frank Abagnale est intimement lié à cette époque où soufflait un vent de jeunesse sur le pays. Tout paraissait alors possible. Il suffisait de tenter sa chance. Frank se ballade de New York à Hollywood dans une Amérique encore innocente. La contre-culture et la rebellion contre l’autorité sont encore loin dans le film. Arrête-moi si tu peux a été tourné dans plus d’une centaine de décors différents. Avec l’aide de son directeur de photographie Janusz Kaminski et de sa chef décoratrice Jeannine Opewall, Steven Spielberg a donné une importance particulière aux couleurs. Après la fuite de Frank, on passe progressivement d’un univers monotone et monochromatique à une explosion de rose et de orange. L’univers familial est lui entièrement construit autour de contrastes de lumières chaudes et froides à la manière d’Eyes Wide Shut. L’image est fambloyante, lumineuse. Elle donne un aspect très stylisé au film qui va dans le sens de sa légèreté et du soin donné aux apparences. Toutes les situations s’enchaînent rapidement. Le rythme est accentué par les très nombreux mouvements de caméra de Spielberg qui donnent du dynamisme au personnage et au film. Rien n’est jamais fixé. Tout progresse à vive allure. Les compositions très jazz de John Williams comme la bande son du film où l’on retrouve aussi bien Frank Sinatra, les Kinks ou certains classiques comme « The Girl from Ipanema » parachèvent l’ambiance pétillante et légère d’Arrête-moi si tu peux.

Leonardo DiCaprio est ici parfait dans ce rôle d’homme caméléon. Le comédien réussit le tour de force d’être aussi crédible quand son personnage est tout jeune, naïf et maladroit que plus tard quand il a acquis une certaine assurance. Arrêté par Carl Hanratty (Tom Hanks), il montre encore un côté sombre, sauvage et dur qu’on ne lui connaissait pas jusque là. DiCaprio donne vie à plusieurs personnalités à la fois contrastées et complexes. Pour extérioriser, l’idée d’une face cachée chez son personnage, Spielberg a fait le choix très judicieux de recouvrir une partie de son visage d’un voile d’ombre qui ne le quitte que très rarement. Son personnage avance toujours voilé. Ainsi, de nombreuses scènes d’Arrête-moi si tu peux ne sont pas ce qu’elles paraissent être au premier degré. Quand Frank interview des employés de banque ou de compagnies aériennes, c’est d’abord pour s’informer sur leur fonctionnement. Quand Cheryl Ann (Jennifer Garner aperçue dans Felicity et star de la série Alias) croît avoir gagné mille dollars en couchant avec lui, elle ne sait pas qu’en réalité elle en a perdu quatre cents. A l’opposé de Frank, le personnage de Carl Hanratty est très sobre et teigneux. Agent du FBI au bureau des fraudes, il n’a qu’une seule idée en tête et n’en démord pas. Il lui faut arrêter Frank Abagnale. Tom Hanks apporte beaucoup d’humour et d’humanité à ce bureaucrate calme et consciencieux. La dynamique d’Arrête-moi si tu peux doit beaucoup à ce personnage farfelu de poursuivant dont la vie se retrouve intimement liée à celle de celui qu’il recherche. La trame narrative joue de la course poursuite entre les deux hommes au moins autant que des coups de bluffs de Frank.

Derrière les apparences d’une comédie policière, Arrête-moi si tu peux est en réalité un drame familial. Le véritable moteur de Frank n’est pas la recherche de la célébrité, de la richesse ou de la vie facile. Comme les personnages principaux de A.I. ou de Minority Report, il se crée lui-même un monde fictionnel en réaction à la destruction de sa cellule familiale. Si John Anderton (Tom Cruise) avait cru au rêve d’une justice préventive qui empêcherait toute nouvelle disparition après la mort de son fils, Frank cherche à s’en sortir pour rendre sa gloire passée à son père. Ce dernier qui a un jour a reçu les honneurs d’un club très prestigieux de New Rochelle est en proie à l’acharnement du gouvernement pour un différent concernant son magasin. Tout au long du film, Frank Jr. ne fait qu’inconsciemment répété un schéma que lui a appris son père. Arrête-moi si tu peux contient à ce sujet une magnifique parabole sur l’éducation. Innocent face à la vie, Frank Jr. passe son temps à répéter ce qu’il a pu voir chez ses modèles ou à la télévision. Il devient séducteur en regardant James Bond, médecin devant « Dr. Kildare » et avocat avec « Perry Mason ». La connaissance est ici intimement lié au regard. Il suffit ici d’apprendre à voir. Carl Hanratty se fait piéger lors de sa première rencontre avec Frank. N’ayant jamais vu à quoi ce dernier ressemble, il lui est facile de le prendre pour quelqu’un d’autre.

Frank Jr., pourtant expert en manipulation des apparences, n’est pas exempt de reproches à cet égard. Il est lui aussi incapable de voir ce qu’il se joue autour de lui. Son père, magnifiquement interprété par Christopher Walken tout en détresse, l’entretient un temps dans ses illusions voyant son fils réussir où lui a tout échoué. Cette fiction familiale que se construit le personnage principal est bien sûr un leurre. Frank Jr. ne veut pas voir que sa mère (Nathalie Baye) a refait sa vie avec un autre homme. Il lui faudra aller un Noël à la porte de ce nouveau foyer pour se rendre compte que les choses ne sont pas comme elles pouvaient lui paraître. Il bute sur une petite fille qui a pris sa place dans l’image d’une famille idéale et unie. En parallèle, à cette première histoire de famille d’autres viennent se greffer tout au long du film. Frank Jr. propose ainsi le mariage à une jeune femme (Amy Adams) qu’il a rencontré dans un hôpital afin de la réconcilier avec ses parents qu’elle ne voit plus. Ces derniers recréent le temps d’une danse l’image idéale que le jeune homme garde de son père et de sa mère. Carl Hanratty est séparée de sa fille depuis de nombreuses années. Il trouve en Frank Jr. une sorte de fils de substitution qu’il prend peu à peu sous son aile. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si le film s’ouvre sur une scène où Carl Hanratty vient porter secours au jeune escroc. Lui-même fils de divorcé devenu depuis un des manipulateurs les plus en vue de la planète pour le compte d’Hollywood, on ne s’étonnera pas que Steven Spielberg ait pu se reconnaître dans la vie de Frank Abagnale. En faisant le deuil de son enfance, ce dernier peut s’écarter de la voie tracée par son père et innover. Frank apprend ainsi peu à peu à trouver sa propre place et à construire quelque chose. Arrête-moi si tu peux retrace le destin extraordinaire d’un jeune adolescent en passe de devenir adulte.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 15 septembre 2004