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Capitaines d’avril

Histoire du Portugal : le coup d’Etat d’avril 1975

Une belle ambition de cinéma ! Maria de Medeiros (l’exquise Fabienne amoureuse de Bruce Willis dans Pulp Fiction de Quentin Tarantino) a choisi de raconter un des épisodes les plus importants de l’Histoire du Portugal, un coup d’Etat épique nécessitant des scènes de foule, des chars, le tout en décors naturels à Lisbonne, bref un gros budget et des difficultés logistiques a priori cauchemardesques pour un premier film...


Mais la réalisatrice a tenu bon et, en plus de nous livrer avec précision tous les détails de cette Révolution pacifique, elle apporte de la fraîcheur, un ton nouveau à un genre pourtant très codifié.

On a réellement le sentiment de n’avoir jamais vu un film comme celui-là. Cela vient certainement du regard que porte Maria de Medeiros sur cet épisode historique. Un regard distancié, très tendre sur des personnages idéalistes et sympathiques qui n’ont pas grand chose en commun avec les héros révolutionnaires dépeints habituellement au cinéma.

Il est certain que le caractère atypique de ce coup d’Etat permet d’emblée au spectateur de s’identifier à ces " capitaines d’avril " inexpérimentés. La Révolution des œillets doit en effet sa réussite à peu de choses. Ainsi les passages suivants du film qui sont authentiques et qui n’ont pas été inventés par les scénaristes donnent d’emblée un caractère intimiste, humain au film : par exemple la scène où un char tombe en panne en pleine campagne sur le chemin de Lisbonne, ou l’autre scène où cette même colonne de char stoppe en pleine capitale en raison d’un feu rouge ( !). C’est peut-être le premier film de ce genre qui soit aussi drôle !

Cet aspect intimiste est renforcé par la mise en scène qui s’attarde sur les regards, les sourires et les larmes des principaux protagonistes de cette Révolution plutôt que sur les scènes de foule. Ces passages obligés où la foule s’emporte ou crie sa joie sont d’ailleurs filmés de très près, les mouvements à la grue sont limités, bref Maria de Medeiros s’attache à montrer qu’une foule, c’est une somme d’individus épris de liberté et non pas une masse qui se précipite là où on lui dit d’aller (même si ce danger est bien montré dans la scène où les deux principaux officiers artisans de la Révolution sont pris arbitrairement pour des membres de la Pide, la police à la solde du régime qui vient d’être renversé, et échappent de peu à une fureur aveugle de la foule).

Néanmoins, le lyrisme n’est pas absent et on vibre en espérant la réussite du coup d’Etat. On vibre aussi car les personnages acquièrent une véritable densité quand ils sont confrontés au fantôme d’une histoire d’amour ratée. La réalisatrice se met elle-même en scène dans un personnage attachant de femme libre. Sans rentrer dans les détails, sachez que ce qui est le plus bouleversant finalement dans cette histoire, ce sont les passions d’autrefois qui ressurgissent d’un coup sans toutefois pouvoir vraiment s’exprimer. De l’amour, mais de l’amour en demi-teinte. C’est la partie la plus réussie du film, qui se termine sur un regard d’enfant et nous renvoie à nous-même. Une histoire passionnante et universelle, un ton singulier. Courez-y !!!

par Vladimir Rodionoff
Article mis en ligne le 17 mai 2004