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Dancer Upstairs

Ce film, le premier de John Malkovich en tant que réalisateur, n’est pas facile à aborder. Le spectateur qui connaît peu l’histoire du pays dans lequel se déroule le film (le Pérou) est au début susceptible d’être quelque peu égaré : un avocat devenu policier se voit chargé d’enquêter sur un groupuscule terroriste et révolutionnaire. Il dispose de peu d’indices : des chiens morts accrochés aux lampadaires, des exécutions sommaires, une quantité de crimes célébrant l’avènement au pouvoir d’un inconnu : Ezekiel. En réalité, cette enquête reprend le combat qui opposa, durant les années 80, l’Etat péruvien à d’Ezekiel Duran, leader du groupe terroriste marxiste ’Le sentier Lumineux’.


Le scénario aurait sans aucun doute gagné à être clarifié, délesté de certaines longueurs, d’effets pas réellement nécessaires. C’est un premier film, un premier essai donc. Il est logique que la forme soit imparfaite, que le réalisateur se soit attaché davantage à dire qu’à guider, à exprimer son goût pour le cinéma plutôt qu’à montrer tout court. L’artiste, en pratiquant, épure son geste va, à mesure qu’il pense son art, plus directement à l’essentiel. Et l’essentiel dans ce film, est là, tapis sous des effets somme toute anodins. Malkovich a d’abord trouvé ici non seulement un sujet, mais une culture, un peuple, une histoire. Le Pérou et ses habitants, la révolution surtout, est décrit non pas nécessairement comme un combat politique et militaire, mais comme fable (la fable qui vient de la forêt, celle qu’alimentent les rumeurs allant de villages en villages), un sacrifice (« vive le président Ezekiel » crie l’enfant avant de mourir) et peut-être plus profondément une forme de justice. La justice d’un peuple dont la rumeur appelle à la vengeance, à l’avènement du héros capable de le replacer au centre de l’action politique.

L’essentiel, c’est également la capacité qu’à Malkovitch de faire ressortir la fragilité de ses personnages, leur beauté également, l’un et l’autre étant inextricablement lié. Les acteurs, au premier rang desquels Javier Bardem et Laura Morante sont admirables. La caméra rend à merveille la justesse de leur jeu - elle lorsque Bardem lui délie ses cheveux, la contemple plus qu’il ne l’observe ; lui lorsque, regardant sa fille danser, il aime et doute à la fois, que son regard admire et pense à la fois, regrette et souffre. Ce regard de Bardem fâne comme la fleur du jour, passe de l’amour à la désillusion et laisse entrevoir toute la faiblesse, toute l’humanité d’un homme.

L’essentiel c’est en réalité non pas nécessairement l’histoire, mais ces quelques plans qui révèlent davantage qu’ils ne racontent, qui disent par exemple, dans le cas de la petite fille du lieutenant, avant que celle-ci, dans le dernier plan du film, n’entre en danse, la confiance si forte, si fondée, que celle-là accorde à son père, comme si rien ne pouvait ébranler ce lien qui unissait l’un à l’autre. La petite fille attendant le dernier moment pour danser, patiente sagement, en tapant lentement le sol de ses petits doigts de pieds, comme si cela n’était affaire que de quelques secondes, que la venue de son père était imminente sans rien qu’elle en sache en vérité. Cette confiance-là est superbe. C’est là, avec la découverte d’un visage (l’amour), la mort comme cri (le sacrifice), le regard qui se décompose (le doute), le plus beau, et le plus essentiel.

par Matthieu Chéreau
Article mis en ligne le 6 août 2004