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Escrocs mais pas trop !

Les plans diaboliques appellent les contretemps fâcheux, et l’argent ne fait peut-être pas le bonheur... "On est tous des futés, mais lui il a des lunettes." Non, Woody n’a rien perdu de son talent d’humoriste depuis Prend l’oseille et tire-toi. Après Accords et Désaccords, Woody revient en effet à la comédie légère (voire très légère) qui fait rire. Escrocs mais pas trop est un film jubilatoire, sans prétention, qui allie le comique des situations, les répliques bien placées, un jeu d’acteurs toujours juste et des caricatures sociales finement ciselées. Ce n’est sans doute pas un grand film mais c’est drôle.


La comparaison du film de Woody Allen avec celui d’Agnès Jaoui (Le goût des autres)peut surprendre. Pourtant, qui a aimé Jean-Pierre Bacri en patron de PME mal à l’aise dans un vernissage guindé appréciera sans doute Woody en amoureux des plateaux télé assoupi lors de la représentation d’une pièce de théâtre hermétique.

Car les logiques sont assez proches : avec une logique assez bourdieusienne, Agnès Jaoui et Woody Allen dressent chacun à leur manière le procès du monopole de la définition du bon goût par les classes dominantes. Non, les buveurs de Pepsi n’ont pas à rougir devant les amateurs de Château-Margot, et les plaisirs simples (en l’occurrence manger du crabe en couple sur une plage en Floride) ne sont pas pour autant des plaisirs "inférieurs".

Dans les deux cas (même si le film de Jaoui est infiniment plus subtil), le discours dépasse le lieu commun des goûts et des couleurs qui ne se discutent pas. Ce qui prédomine c’est la critique du discours sur l’art, qui tend à remplacer le plaisir spontané. Car ce qui importe dans les salons New-Yorkais comme à Paris, bien que les intellectuels des deux pays soient d’un style assez différent), c’est de savoir parler de l’art. Mettre des mots sur son émotion importe plus que l’émotion elle-même. Dans Escrocs mais pas trop, Frenchy apprend ainsi à parler du vin, répétant des propos tous faits ("quel nez !"). Dans le goût des autres, Jean-Pierre Bacri ne sait pas exprimer son émotion devant la comédienne qui l’a sincèrement bouleversé, et pourtant il est sans doute celui qui été le plus touché par la pièce.

Evidemment, Woody Allen exploite le décalage entre culture élitiste et culture populaire à des fins comiques. Car si toutes les cultures et tous les goûts sont légitimes, quoi de plus ridicule qu’un beauf voulant jouer au grand monde ? Quoi de pire qu’un buveur de Pepsi s’essayant par ambition sociale à commenter un Château-Margot ?

On retrouve de Woody Allen son obsession pour l’endogamie sociale et culturelle présente dans presque tous ses films. Parmi les derniers, on pense surtout à Maudite Aphrodite, qui décrivait les amours impossibles d’une prostituée et d’un intellectuel. Surtout, on retrouve la problématique chère à Woody (et assez typiquement américaine) de l’ambition individuelle opposée à la vie de couple. L’autre, le conjoint, est toujours en passe de devenir le boulet qui empêchera d’aller plus loin. Du moins le soupçonne-t-on. C’était le cas dans Celebrity, c’est le cas dans Escrocs mais pas trop. Le soupçon est d’ailleurs rarement justifié, la médiocrité n’étant finalement due qu’à soi-même : le journaliste de Celebrity ne réussira à rien tandis que sa femme accédera à la gloire, et Frenchy retrouvera son mari après avoir essayé de s’élever sans succès dans les hautes sphères de la société.

Un peu plus surprenant est dans Escrocs mais pas trop l’identification de la culture d’élite avec la culture européenne, brocardée pour son snobisme, tandis que la culture " populaire " est authentiquement américaine (bière, télé, pop-corn, pizza). Escrocs mais pas trop est d’ailleurs le film de Woody Allen qui a eu le plus de succès aux Etats-Unis depuis longtemps. De là à établir une relation entre ces deux faits, il y a un pas que beaucoup n’hésitent pas à franchir.

par Corentin Bichet
Article mis en ligne le 21 juin 2004