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Femme Fatale

L’art d’accomoder les vieux plats

Peut-on juger de la réussite d’un film à la seule maîtrise de son réalisateur ? Des cinéastes reconnus tels que Spielberg et son Soldat Ryan, Scott et sa Chute du Faucon Noir, ou Fincher et son Panic Room, nous ont prouvé que non. En l’occurrence, le Chef n’a rien perdu de son brio habituel pour lier la sauce, mais son dernier plat a quelque peu le goût ranci de la vieille bouffe réchauffée au micro-ondes.


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Comme nous y a habitué De Palma (voire L’impasse, Snake Eyes ou Mission to Mars pour n’en citer que quelques uns), la séquence d’ouverture est encore une fois très réussie. Cependant, la véritable trouvaille ne provient pas ici des seules ressources de la caméra (pas de plan-séquence scotchant, les prises de vues sont sobres), mais bel et bien de la géniale association d’un montage tiré au cordeau avec un magnifique pastiche ravélien du compositeur Ryuichi Sakamoto.

Non seulement cette musique tranche avec une grande classe sur le tout-venant de la B.O. symphonique, mais elle s’affranchit aussi de l’habituelle fonction illustratrice pour devenir l’élément régisseur de toute la séquence. Par sa répétitivité mélodique et l’homogénéité de son rythme, elle donne un sens de la durée unificateur aux images fragmentées (plusieurs actions simultanées), mais en assure aussi la gradation par le biais d’une amplification progressive de l’orchestre. Toutes les agitations des personnages semblent subordonnées au mouvement de la musique ; tous apparaissent comme les danseurs d’un même ballet. Cet agencement cyclique est une annonciation de la structure même du film (tout comme le thème musical qui ne change pas mais se trouve transformé au fur et à mesure que des instrument viennent s’ajouter, des scènes vont se répéter, semblables et pourtant différentes). Les affiches « Déjà vu » viennent discrètement renforcer cette organisation.

Echanges de phéromones (JPEG)Notons enfin, pour en finir avec la musique, que les harmonies composées par Sakamoto sont par ailleurs d’une sensualité exquise, qui renforce idéalement l’atmosphère de désir (du corps de l’autre, des bijoux) dans laquelle baigne toute la séquence (qu’on se rappelle la chorégraphie éminemment érotique de Béjart sur le morceau de Ravel, pour saisir ici l’intelligence des choix du cinéaste).

Passé ce moment de cinéma très jouissif, le film retombe dans le rabâchage stylistique et thématique. L’ouverture sous les auspices d’un glorieux patronage wilderien du meilleur aloi (Hitchcock, le père spirituel, serait-il enfin un peu mis de côté ?) laissait pourtant présager une approche peut-être un peu différente. Mais on ne se refait pas !

Toute la petite grammaire depalmienne y passe, des retournements schizophréniques au final polyphonique (toujours formellement impressionnant grâce à un sens très aigu de l’espace) en passant par l’inévitable split-screen. Lorsque Rebecca Romijn-Stamos fait son strip-tease dans le sous-sol du bar pour un autre et que Banderas l’observe de l’entrée de la pièce, nous revoilà confrontés au sempiternel thème du voyeurisme (notons le rapport entre Blow Out et son inspirateur Blow up, où le photographe voyeur se retrouve aujourd’hui directement dans la profession de paparazzi de Banderas). Lorsque l’actrice prend son bain et voit son sosie brun se tirer une balle dans la tête, c’est au dédoublement de l’individu qu’on a affaire (voir les rapports schizoïdes du psychiatre transsexuel dans Pulsions et du père de famille dans L’esprit de Caïn, ou le sosie de la femme morte dans Obsession).

Là, Brian devient beauf... (JPEG) Le problème réside ici dans le fait que cette grammaire fonctionne à vide. Du coup, les retournements du style « mais non, tout ça c’était dans sa tête » tombent relativement à plat. De Palma reproduit les même erreurs que celles commises, entre autres, dans L’esprit de Caïn, qui avait le mérite d’être plus angoissant malgré ses nombreuses fautes de goût. Tours de passe-passe scénaristiques, fond moyennement passionnant (« mais où sont les diamants ? ») et détails cheap (les méchants qui font vraiment méchants, les gadgets technologiques un peu ridicules) éloignent insensiblement le spectateur d’une histoire qui ne manque pas par ailleurs de saveur (du français dans un film américain, le cadre parisien, un Antonio Banderas hilarant en homo, vague réminiscence de la période Almodovar), ni d’aspects intéressants (la déclinaison de l’élément liquide au travers de couleurs froides et bleutées, symbole d’apaisement, opposées aux couleurs chaudes des moments « sexuels » où la femme devient fatale et manipulatrice).

Un film plaisant donc, mais qui ne nous arrache pas des cris d’enthousiasme par son originalité et sa puissance émotionnelle. A quand un nouveau Casualties of war (Outrages) ?

par Alaric P.
Article mis en ligne le 20 avril 2004