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France Boutique

Quatre ans après Venus Beauté, institut, Tonie Marshall se penche sur un nouveau microcosme : celui d’une petite entreprise de télé-achat. Comédie grand public, France boutique surfe trop sur les clichés et la caricature pour insuffler une vraie profondeur aux personnages. Une tentative de film populaire de qualité un peu trop bancale, malgré de beaux numéros d’acteurs.


Des tons vert et orange. Le générique de France Boutique nous plonge directement dans l’univers gentillet et kitsch de la télévision. Pas n’importe quelle émission : le télé-achat. Le monde de la chaîne France Boutique apparaît d’abord comme un lieu d’évasion et de bien-être. Les couleurs sont pleines de gaieté, les animateurs souriants, les produits efficaces. Seulement, cet univers d’apparence est complètement factice. Dès la deuxième scène, Tonie Marshall, convie ses deux personnages principaux, France (Karin Viard, impeccable, comme à son habitude) et Olivier (François Cluzet, le plaisir de la sobriété), dans la noirceur d’un commissariat. Le couple, marié depuis plusieurs années, traverse une grave crise conjugale. Cette opposition entre une façade soignée et un intérieur plus sombre n’est pas que l’apanage des deux fondateurs et propriétaires de la France Boutique. Estelle (Judith Godrèche), la blonde sexy donc forcément un peu conne, n’est pas la femme heureuse et libérée qu’elle prétend être : elle doit prendre de la drogue pour faire face au quotidien. De même, Marine (Hélènes Fillières) montre à Olivier ses peintures présentant des hommes laids et défigurés, voire en sang. Cette face sombre de l’univers de l’émission "France Boutique" contamine peu à peu le monde de l’écran. Le film présente une série de déraillements où les personnages révèlent peu à peu leur vraie nature. France oublie de venir au direct de la première émission. Par la suite, en vendant un couteau, elle menace indirectement son mari.

(JPEG)Le choix du télé-achat est ici particulièrement pertinent, car il permet de poser la question du désir. Le but de ses émissions est en effet de faire naître l’envie chez le spectateur d’acheter un produit. Or, c’est exactement ce dont les personnages manquent en privé. France ne pense plus à s’habiller en tenue sexy pour son mari. Olivier est plus excité par un film porno que par sa femme au sortir de la salle de bain. Pour faire renaître ce désir, les deux personnages vont se tourner vers l’extérieur, la nouveauté. France se laisse séduire par Walter, un jeune homme envoyé par la mystérieuse associée Sofia (Nathalie Baye), avant de succomber aux charmes d’un gigolo. Olivier ne reste pas indifférent au charme énigmatique de Marine. Ces deux relations extraconjugales leur permettent d’assouvir un désir immédiat mais ne répondent pas aux exigences que chacun nourrit sur ce à quoi doit ressembler sa vie. Si France-Boutique défend une idée, c’est celle qu’une belle présentation ne vaut rien sans un bon produit. La forme n’a de sens que pour mettre en valeur un fond. C’est ce dernier qui fait la différence en fin de compte. France et Olivier se rendent peu à peu compte que leur relation est à leurs yeux plus importante qu’il n’y paraît. La jeune femme va donc apprendre à se rendre de nouveau imprévisible, afin de séduire son époux, mais aussi le public. Elle n’hésite pas à porter une guêpière pour défendre l’ensemble "femme-femme", dans un moment d’inspiration inattendu.

Cette exigence envers soi-même amène également le couple à douter d’un des produits qui leur est proposé. France Boutique est le révélateur d’un malaise vis-à-vis de la modernité et notamment de la mondialisation de l’économie. La petite entreprise familiale a dû par le passé s’associer avec un grand groupe pour survivre à une période financière difficile. Désormais, elle est secrètement menacée d’être rachetée. Ce grand groupe, dans lequel il semble recommandé de parler anglais, utilise des manœuvres louches. Sa stratégie consiste à faire en sorte que "France Boutique" fasse la promotion d’un produit qui ne fonctionne pas, et venu des Etats-Unis, afin de pouvoir les attaquer en justice. Derrière cette lutte d’intérêts économiques, on ne peut s’empêcher de lire France Boutique comme un manifeste pour un cinéma français décomplexé sachant mêler art et commerce. Un cinéma suffisamment sexy pour attirer le public sans vendre son âme. Le nom de France n’a pas été choisi au hasard : face à un cinéma américain toc, Tonie Marshall fait le plaidoyer d’un cinéma rigolo et pas prise de tête, pétillant, coloré, festif.

Si le discours anti-américain est plutôt convenu, étrangement une seconde menace assez inattendue pèse sur le couple. Marine est le pendant de Walter dans la narration. Elle aussi cherche à déchirer France et Olivier en séduisant ce dernier. Or, par son discours, la pratique de son art, Marine est clairement présentée comme l’artiste intello qui se complait dans des expériences formalistes et la peinture des horreurs du monde. Tonie Marshall met dos à dos Hollywood et le cinéma d’auteur le plus exigeant au nom du respect du public. Marine ne manquera d’ailleurs pas de se dissocier de l’entreprise de France Boutique en trouvant le spectacle proposé "chiant". Une habile manière pour la réalisatrice d’anticiper les critiques.

(JPEG)Si l’idée d’un cinéma populaire et de qualité est des plus séduisantes, sa mise en œuvre par Tonie Marshall est plutôt décevante. Contre un monde à une dimension, la réalisatrice ne fait qu’en ajouter une deuxième comme si cela suffisait à rendre compte d’une certaine complexité. Les plans où France se regarde le soir dans le reflet de sa vitre et celui sur la main tremblante d’Olivier sont deux des plus touchants et réussis du film, mais ils sont trop rares pour donner une épaisseur à la détresse des personnages. Les fêlures ne sont là que pour être soignées, effacées comme par enchantement. France Boutique peine également à faire exister ses personnages secondaires. L’amour de Monique pour Olivier ou le personnage joué par Micheline Presle n’apportent strictement rien à la narration : ils font figure de pièces rapportées (pour d’obscures raisons, peut-être le plaisir d’avoir Noémie Lvovsky et Micheline Presle dans son film ?). Le personnage d’Estelle est aussi parfaitement représentatif de cela : une fois sa dépendance à la drogue révélée, le public est acquis à sa cause et ses problèmes sont évacués par la fiction, qui ne sait pas très bien quoi en faire. Yvan semble de même avoir pour unique fonction d’intégrer la question de l’homosexualité de manière convenue en faisant son coming out. On ne lui connaîtra bien sûr aucune relation.

Le parti-pris du film vis-à-vis du télé-achat est particulièrement symbolique des limites du film. France Boutique oscille entre premier et second degré sans jamais vouloir se positionner. Cette constante recherche d’un entre-deux, d’un équilibre capable de plaire au plus grand nombre sans déranger, enfonce le film dans un discours un peu mou. On aurait aimé davantage de folie et de prise de risque. France Boutique est un film sympathique. Sans plus.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 24 octobre 2005