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Infidèle, de Liv Ullmann

Liv Ullmann, actrice fétiche de Bergman depuis Persona (1966), réalise son quatrième long métrage et son deuxième d’après un scénario de son maître et ami de longue date, après Les Confessions.


Trolösa est à nouveau tiré d’un épisode réel de la vie de Bergman. Mais cette fois-ci l’histoire se complique, car si Les Confessions racontait l’histoire des parents de Bergman, Infidèle s’inspire par moments de la relation tumultueuse que Bergman entretenait avec Ullmann. Ce n’est certainement pas un hasard si Ullmann a appelé le personnage principal Marianne, du nom de son personnage dans Scènes de la vie conjugale.

Le film est débordant des motifs typiquement bergmaniens, tel le déchirement du couple, la solitude des hommes, la fragilité de la passion, l’omniprésence de la mort, mais il serait dommage de lui faire le procès de la copie affaiblie. Ce n’est pas un film de Bergman, il y a naturellement des correspondances avec sa manière de faire des films, ne serait-ce que parce que c’est son scénario. (JPEG)Mais Ullmann y a apporté du sien, elle l’a en quelque sorte féminisé. Pour elle ce qui est important, ce n’est pas tant la souffrance de la femme, victimisée dans le scénario de l’auteur qui souhaite faire son mea culpa, que celle de l’enfant plutôt. Ullmann introduit la vision de la mère dans le scénario du vieil homme qui se sent coupable d’avoir fait souffrir tant de femmes et celle-ci en particulier.

Ullmann détourne cette vision, le spectateur trouve deux, voire trois coupables (les adultes) et une victime, l’enfant, qui devient coupable elle aussi par son silence à la fin du film.

Une des scènes les plus fortes est celle où la mère, la très crédible Lena Endre, pleure en parlant de sa fille. Le spectateur n’a qu rarement l’impression que Marianne souffre pour elle, mais plutôt qu’elle souffre pour sa fille. "Ce jour-là, la vie de ma fille a pris un tournant qu’elle n’aurait jamais dû prendre."

La petite ne se révolte même pas contre la présence de l’amant, elle l’accepte, comme elle accepte de nombreuses choses en silence. C’est de cette façon silencieuse et exceptionnelle qu’elle acceptera également plus tard la mort de son père, elle savait, il voulait même l’emmener avec lui, mais elle n’a rien dit, pas même pour qu’on empêche son père de se tuer.

Le personnage du vieil écrivain, alter ego de Bergman, qui encadre le film et interrompt parfois trop brutalement le déroulement de l’action, a tout autant besoin de Marianne pour écrire son livre, que Bergman avait besoin de Ullmann pour réaliser son scénario.

Au début, un peu laborieux du film, où le récit tarde à se mettre en place, l’écrivain cherche dans ses souvenirs et essaie de raconter son histoire tout seul, mais il n’y arrive pas, il appelle Marianne à l’aide. Marianne n’est d’abord qu’une voix, une bouche qu’on découvre sur une photo noir et blanc, puis elle apparaît pour de vrai pour lui raconter l’histoire qu’il était incapable de raconter.

Bergman aussi avait besoin d’une Marianne qui raconte son histoire à travers laquelle il voulait se faire pardonner par toutes les femmes (nombreuses) qu’il a fait souffrir. Et celle qui lui tenait particulièrement à coeur, sa Marianne, lui pardonne à deux reprises. D’abord par sa manière de raconter l’histoire. Le spectateur ne perçoit pas David comme unique coupable, mais la faute est bien partagée entre lui et Marianne. Ensuite elle fait faire un geste de pardon à l’écrivain, il touche la joue de David à la fin comme pour lui dire qu’il a été pardonné.

C’est dommage que ce ne soit pas Bergman lui-même qui interprète son rôle, cela aurait encore ajouté à la confusion des réalités.

La trame classique, du mari, de l’amant et de la femme, contient cependant quelques clichés, comme cette escapade à Paris des amants, entre Montmartre, le vin rouge, la baguette et la chambre d’hôtel toute en velours rouge. Mais par le contexte de la collaboration impudique entre Bergman et Ullmann il prend tout son sens et là réside une grande partie de son intérêt.

par Samantha Tanson
Article mis en ligne le 5 juillet 2004