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Intervention divine

Classicisme et innovations d’Elia Suleiman

Qui parierait sur une chanson de Natacha Atlas pour dynamiter les relations entre un jeune Palestinien ouvert et moderne et un Israélien traditionaliste qui affiche franchement sa pratique religieuse ?


Si le film d’Elia Suleiman réussit la prouesse de montrer le blocage entre les deux peuples des territoires de Palestine sans tomber une seconde dans la critique acerbe de l’un ou de l’autre, il n’en tient pas moins un discours sans concession sur la situation sociale des territoires occupés par Israël. Mais le succès de ce parti pris réside sans doute dans le fait suivant : l’objet d’Intervention divine n’est pas d’ouvrir les yeux des spectateurs sur la situation des Palestiniens ou des Israéliens, il est simplement de raconter une histoire intimiste et empreinte de vérité dans un lieu où l’on peut mourir chaque jour pour une guerre sans tombée dans le non-sens. Malgré ce contexte pesant, Intervention divine s’autoproclame « chronique d’amour et de douleur ». Et le terme de chronique semble bien choisi. En effet, le film ne s’appuie nullement sur un scénario cinématographique classique, ni même sur un déroulement de récit classique. Il développe une construction en puzzle à partir de pièces progressivement réunies notamment à travers les nombreux effets de répétition. Là où le film joue du classique cinématographique, c’est plutôt sur le plan thématique. Sur cette terre marquée par la notion d’éternité, l’amour et la guerre se côtoient pour mieux s’entretenir l’un l’autre d’abord : on aime beaucoup l’autre ou on le déteste dans Intervention divine ; on accepte totalement les différences ou on les rejette en bloc. Puis pour mieux révéler leur absurdité en fin de compte : comment aimer en temps de guerre, au milieu des combats ? comment continuer à se battre sans fondement de sens pour lutter ?

Les images se suivent et d’abord ne se ressemblent pas. Alors qu’un homme persiste à jeter ses poubelles dans le jardin de sa voisine, un autre trie son courrier en buvant son café, tandis qu’un troisième attend désespérément un bus qui ne passe jamais. Ce n’est que la répétition de ces images qui donne du sens à leur juxtaposition. Elles sont le reflet du paradoxe de ces villes d’Israël et de Palestine, si semblables et si différentes à la fois. Les lieux se répètent en premier : les maisons, les rues, les villes de Nazareth, Ramallah, Jérusalem, auxquelles s’ajoute le check point entre ces deux dernières. Puis les personnages se font récurrents : les voisins, le père et son fils, les soldats israéliens et la jeune femme palestinienne se croisent et forment une communauté sans que rien ne soit dit au spectateur. Surtout que la première moitié du film est presque entièrement muette.

C’est alors que se dessine le fil d’une histoire : le père Noël blessé dans la première scène à Nazareth se retrouve à l’hôpital avec le père du protagoniste, vivant à Ramallah ; et ce dernier en lui rendant visite rejoint la jeune femme qu’il aime au check point entre Ramallah et Jérusalem.

Mais la déconstruction du récit et le primat du visuel sur le dialogue ne sont pas gratuits. Ils contribuent à mettre en évidence trois idées chères à Intervention divine. La première est le blocage entre Palestiniens et Israéliens, qui s’étend à toutes les sphères de la vie quotidienne, même l’amour et la famille. Si les actions des personnages sont dénuées de parole, c’est que la communication ne passe plus. Et le protagoniste et sa mère peuvent rester assis à regarder la vapeur échappée d’un autocuiseur sur le feu sans se dire un mot alors que le père est mourant à l’hôpital. De même la jeune femme reste assise près de son amant sans qu’aucun discours ne vienne alimenter leur amour. La deuxième idée est que malgré ce blocage, une certaine poésie se propage partout sur les territoires. La phrase « je suis fou parce que je t’aime » s’inscrit à plusieurs reprises sur des murs, un ballon à l’effigie d’Arafat réussit à passer les frontières entre les villes bloquées par les soldats, et l’entrelacement des mains reste une preuve d’amour. Enfin, la troisième idée est que le blocage n’empêche pas la rage, malheureusement ou heureusement. Ainsi la jeune femme se transforme en ninja combattante, les grenades explosent à répétition dans le jardin d’une paisible maison ainsi qu’un tank abandonné sur une route, et la violence est partout, chez les soldats, entre voisins, contre un père Noël impromptu.

Enfin, il est certain que voit qui veut une démonstration de l’absurdité régnant en Israël dans le dédale de déconstruction d’Elia Suleiman. Le film aurait peut-être gagné à se tenir à une vision moins hétéroclite de son sujet, sans quoi de nombreux spectateurs pourront se sentir délaissés par la spirale de non-conformisme qu’a choisi de produire le cinéaste.

par Mélissa Chemam
Article mis en ligne le 17 mai 2004