Artelio

accueil > Cinéma > article




 

Jellyfish, de Kiyoshi Kurosawa

Bright Future

Présenté cette année en compétition à Cannes sous le titre de Bright Future, le nouveau long métrage de Kiyoshi Kurosawa réapparaît en ce mois de décembre sous l’appelation Jellyfish. Un changement de nom significatif puisque le montage présenté ici est beaucoup plus court que celui sorti au Japon. Après Kaïro, le cinéaste japonais reste fidèle à sa vision critique de la société japonaise où les individus en sont réduits à l’état de fantôme.


Yuji est un jeune homme déséquilibré qui travaille dans une usine de fabrication de serviettes de toilette. Il traîne avec son camarade de travail Mamoru qui, selon leur accord secret, le maintient sous contrôle au moyen d’une gestuelle simplifiée. Lorsque Mamoru est arrêté pour avoir tué son patron, Yuji se fait un devoir de s’occuper de la méduse de son ami, créature à la beauté étrange dont le venin est mortel. Il se lie d’amitié avec le père de Mamoru et commence à s’apercevoir des réalités de sa situation.

Si cette méduse compte tant aux yeux des deux jeunes protagonistes, c’est que dans sa beauté immanente, elle ne signifie rien d’autre que la mort. Elle est cette menace apaisante qui rôde dans les eaux calmes et transparentes du quotidien. Tout se passe comme si, lorsque les regards des personnages se posaient sur elle, le temps, devenu inutile, se suspendait. Jellyfish n’est pas l’histoire d’un homme qui (pré)voit le futur mais la dissection d’une contemplation esthétique et morbide, symptôme d’une société au bord du gouffre.

La génération qu’incarnent les deux personnages de Yuji et Mamoru ne sait en effet pas où elle va. Elle oscille entre le besoin de rupture et l’inextinguible ennui. En perpétuelle débâcle, elle porte en elle le principe de sa propre fin, et celle de la société qui l’a vu naître. Ce film, par la génération qu’il met en scène, a tout d’un Orange mécanique qui aurait renoncé à la violence et au verbe, ou d’un blow-up qui aurait perdu ses illusions.

En s’achevant sur l’image de ce fleuve infesté de méduses vénéneuses et phosphorescentes, Jellyfish annonce à sa manière la fin glorieuse et belle d’un certain monde. Ce sentiment est renforcé par une mise en scène soit statique soit toute en ruptures : le temps du basculement est également celui de la suspension - ce film défend, comme l’indique son titre, une vision de l’avenir obscure et belle. Il reprend par là l’idée ancienne bien que moderne qui veut que le désastre soit aussi un chef-d’œuvre.

par Matthieu Chéreau
Article mis en ligne le 17 mai 2004