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L’Amour extra large

Après leur dessin animé Osmosis Jones passé inaperçu il y a quelques mois, les frères Farrelly nous reviennent avec une comédie réussie qui n’est pas sans rappeler leurs opus précédents Mary à tout prix et Fous d’Irène. Moins délirant dans les gags, L’Amour extra large s’appuie avant tout sur une idée de scénario géniale, merveilleusement exploité par les frères réalisateurs.


Les frères Farrelly ont décidé de s’attaquer à la comédie romantique. Et le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils torpillent le genre de l’intérieur d’une manière assez jubilatoire à la manière d’un Paul Verhoeven dans Starship Troopers. L’histoire est celle d’un jeune homme Hal Larsen (Jack Black), totalement superficiel. Alors que lui-même n’est pas terriblement séduisant, il ne s’intéresse qu’aux plus belles filles qu’il rencontre et ne trouve donc jamais chaussure à son pied. Il multiplie les rejets et se console avec son ami Mauricio (très bon Jason Alexander, le "George" de Seinfeld) qui souffre du même problème. Cependant, un beau jour, la vie de Hal change. Un gourou modifie sa vision des choses. Hal ne voit plus désormais que la beauté intérieure des personnes qu’il rencontre comme celle de la "magnifique" Rosemary (Gwyneth Paltrow) dont il tombe immédiatement amoureux.

C’est alors que les frères Farrelly reprennent tous les codes de la comédie romantique. Le film est constamment accompagné d’une bande son composé de chansons un peu sirupeuses allant de Sheryl Crow au groupe Belle et Sebastien. L’Amour extra large nous offre ensuite la rencontre entre deux personnes qui tombent amoureuses l’une de l’autre et qui vont ensuite être entraînées dans une série de quiproquos, malentendus qui vont remettre en cause leur relation. Leurs amis vont s’efforcer de les séparer, leurs motivations vont être mal interprétées (Rosemary est la fille du patron de Hal qui cherche à se faire promouvoir dans l’entreprise). Le film reprend enfin tout un discours que l’on trouve habituellement dans ce genre de films. Il ne faut pas s’arrêter aux apparences mais la vraie beauté est à l’intérieur. L’amour est la seule valeur qui compte et qui résout tous les problèmes. Les deux réalisateurs poussent même le politiquement correct jusqu’à engager leurs deux personnages principaux dans une mission humanitaire pour apporter leur aide à un pauvre peuple du Pacifique. Tout le discours habituel du cinéma américain est poussé à son extrême limite donc à l’absurde.

Alors, comment prendre tout ça au sérieux ? Car, détail important, la vraie Rosemary est en fait une énorme fille de plus d’une centaine de kilos. Il devient rapidement clair que les frères Farrelly s’amuse surtout à détourner le genre. Chaque fois que Hal rencontre une nouvelle personne, on ne peut s’empêcher de se demander à quoi elle ressemble vraiment. Rosemary est bien jolie dans les yeux de Hal mais l’intrigue nous ramène constamment à son vrai poids (les chaises qui s’écroulent) et au regard des autres (les jeunes qui se moquent d’elle au fast food). Hal lui-même ne correspond pas vraiment aux canons de la comédie romantique. C’est un loser très moyennement séduisant. Le film est en fait une accumulation de clichés qui se valent tous. Ainsi, toutes les filles belles extérieurement sont méprisantes, stupides et intéressées alors que les plus laides sont celles qui cachent le plus de qualité. Le film ne sort jamais de sa superficialité. Et c’est sans doute la force du cinéma des frères Farrelly.

Les deux cinéastes perturbent profondément notre regard. Le film est très drôle et on rigole autant avec que contre les personnages. Quand le film nous amène dans un hopital auprès d’enfants brûlés, les choses se compliquent. Les frères Farrelly nous montrent les limites de notre moquerie. La question du regard que l’on peut porter sur les choses est primordiale. Ce n’est pas ici qu’un simple prétexte à faire des gags. La superficialité et le politiquement correct tant décriés dans le film, ce sont aussi les nôtres. Les frères Farrelly ont un regard unique sur les choses qui leur permet de se moquer mais jamais de manière trop méchante ou sérieuse. Leurs films reprendraient plutôt le proverbe, "qui aime bien, châtie bien". Il est quasiment impossible de savoir quelle est la position des cinéastes sur leur sujet. Entre le premier et le second degré, L’Amour extra large trouve sa propre voie. A la manière d’un Todd Solondz, les frères Farrelly renouvellent donc avec brio la comédie américaine. On peut compter sur eux pour garder leur esprit potache et dérangeant dans les années qui viennent.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 4 octobre 2004