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La faute à Voltaire

Jallel est un clandestin tunisien fraîchement débarqué à Paris. Entre ventes à la sauvette, séjour en psychiatrie et fraternité partagée avec les compagnons de foyer, il va rencontrer deux amours bien différentes...


Vous êtes-vous déjà départi de votre indifférence pour vous demander ce que pouvait bien être la vie des sans-papiers et des déshérités abonnés à la manche dans le métro ? Dans son premier film Abdellatif Kechiche nous dévoile cette "réalité parallèle" de l’exclusion avec justesse et sensibilité, en évitant habilement les écueils dressés sur sa route...

Fiesta au bar PMU (JPEG) Là où certains auraient été tentés d’appesantir leur narration de considérations politiques sur l’immigration, Kechiche se refuse à asséner une thèse et détache son histoire de tout contexte précis. Plutôt que d’aborder les exclus comme groupe social "de la frange", il place son regard de cinéaste à hauteur d’homme pour se concentrer sur les relations d’une poignée d’individus. Et ces personnages, échappant à tout schématisme démonstratif, n’ont que faire d’élaborer une réflexion sur le système ; ils sont bien trop occupés à vivre ! La sympathie évidente que Kechiche nourrit à leur égard nous les rend si proches qu’on en vient à oublier toute contingence sociale et économique pour simplement vibrer à l’unisson des sentiments qui les animent. Ce parti-pris, magnifiquement porté par des acteurs formidables, hisse le film vers une vérité humaine touchante et vivace qui réchauffe le coeur.

Jallel dans le métro (JPEG) Car là où l’on aurait pu craindre un certain misérabilisme, il se dégage une force de vie proprement salvatrice. Celle-ci se manifeste autant dans le beau sourire lumineux de Jallel (Sami Bouajila dont le rire est communicatif - on rit d’ailleurs plus souvent qu’à son tour dans ce film), que dans la gentillesse un brin pataude de Franck (Bruno Lochet, extra !), le désir sensuel de Lucie (Elodie Bouchez, épatante dans le registre de l’ingénuité enjôleuse mâtinée d’entêtement enfantin), l’énergie farouche de Nassera (Aure Atika, exprimant mieux ici son talent que dans les comédies plus ou moins formatées où on l’a précédemment vue) ou l’explosion festive et fraternelle du bal dans le square.

Mais La faute à Voltaire n’est pas pour autant totalement apolitique. Le couperet de la répression légale finit par réduire à néant la nouvelle vie de Jallel puisqu’il est arrêté et renvoyé en Tunisie. En nous rappelant d’un sobre cinglement (pas de sur-dramatisation ; la caméra reste au loin) une précarité que le film nous avait fait un temps passer au second plan, cette conclusion montre en fin de compte l’engagement du cinéaste. Après deux heures chaleureuses passées en la compagnie de Jallel, ce cri silencieux et final témoigne mieux que tout discours de la cruauté d’un système où le facteur humain n’a pas sa place.

Sans vouloir prétendre changer le monde, ce beau premier film (Lion d’Or de la Première oeuvre au Festival de Venise) vous fera assurément regarder d’un autre oeil les petits vendeurs de roses qui vous importunent parfois dans les bars ou les restaurants. Rien que pour cela, bravo à Abdellatif Kechiche !

par Alaric P.
Article mis en ligne le 5 mars 2005