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La Guerre à Paris

Si les films historiques s’attachent parfois à reconstituer des périodes passées avec luxe et détails, la réalisatrice Yolande Zauberman (Clubbed to death) a choisi, avec son nouveau long métrage La guerre à Paris, de suivre un traitement opposé. En suivant le parcours de quatre jeunes individus pendant l’Occupation avec un certain minimalisme, elle a préféré l’esprit à la lettre des choses. Ce choix se révèle ici pertinent. Les interprètes sont excellents et le film touchant, malgré quelques maladresses.


Jérémie Rénier (héros de la Promesse, aperçu également dans Le Pacte des loups), Grégoire Colin (Beau travail, Nénette et Boni), Elodie Bouchez et Jean-Pierre Léaud (pour une brève apparition. Voilà un casting prometteur qui, à lui seul, pouvait motiver le déplacement. A la vue du film, on comprend pourquoi la réalisatrice a donné beaucoup d’importance au choix des comédiens : ils portent l’oeuvre sur leurs épaules. Yolande Zauberman s’est mise à leur hauteur. Elle ne s’attache ici qu’à eux, à leurs expériences, à leurs perceptions. Le reste du conflit est traité de manière parfaitement abstraite.

(JPEG)La Guerre à Paris ne s’intéresse pas à l’Histoire, ni à la manière dont elle a transformé Paris. Ce qui compte ici, c’est la manière avec laquelle un petit groupe d’individus a dû composer avec cette réalité, a dû prendre des décisions qui devaient bouleverser leur avenir sans qu’ils en aient forcément conscience. L’originalité du film vient en grande partie de ce choix : pour une fois, on n’a pas la sensation d’avoir affaire à une oeuvre qui se pencherait sur les événements après coup, dans une confortable perspective, et qui chercherait "à comprendre", mais qui travaillerait plutôt cette époque de l’intérieur, presque comme si on y était. Sauf que, petite faiblesse, ce parti-pris est déjà nié par le choix de suivre en parallèle un collaborateur et des résistants plutôt que de ne s’en tenir qu’à un des deux.

(JPEG)Ces deux camps représentent les deux tentations entre lesquelles est pris Jules (Jérémie Rénier), le personnage principal du film. Cette ambiguïté est présente jusque dans son physique puisqu’il a la particularité d’être un Juif blond. Juif et blond, résistant et collaborateur, Jules porte sur lui toute son époque sans que tous ces éléments résultent pour autant d’un choix. Le personnage est prisonnier de ses origines, des circonstances. Il n’a aucune maîtrise de son destin, sa seule ambition dans la vie étant de "ne rien faire". Il est comme une page blanche sur laquelle tout le monde va s’efforcer d’inscrire son point de vue. Le commissaire Romain (Grégoire Colin) le pousse à la délation en échange de la liberté de ses parents, alors que son frère Thomas et son amie Ana Maria (Elodie Bouchez) l’incitent plutôt à se révolter, sans que lui n’ait jamais rien demandé à personne. La réalisatrice montre parfaitement comment les choix effectués à cette époque n’étaient pas seulement de simples interrogations sur le bien et le mal, mais que d’autres facteurs et influences pouvaient être en jeu. Le libre-arbitre n’est plus qu’un paramètre parmi d’autres. Les personnages sont aveuglés et n’ont pas toujours conscience des problèmes qui les attendent. La famille juive, tout en se sachant persécutée, n’a pas peur de rester sur Paris, et il lui faudra de nombreux avertissements avant de prendre la fuite. Après tout, ils se considéraient comme Français...

(JPEG)Pour finir, si le scénario exprime ce souci de véracité relativement à l’époque, il faut dire qu’il est porté par une mise en scène très intéressante qui privilégie les gestes et les regards aux paroles. Yolande Zauberman décrit, avec ses images et l’aide d’excellents interprètes, la large gamme des sentiments de ses personnages et n’oublie jamais leurs révoltes, leurs colères mais aussi leurs moments de joie ou d’amour. La réalisatrice parvient à capter de forts moments de vie qui dépassent largement le cadre du film de guerre traditionnel. Amour, solidarité, culpabilité : tout ce qui peut rendre les personnages plus humains et naturels sont bon à prendre. L’austérité du sujet et du traitement est contrebalancée par les très belles compositions musicales de Jocelyn Cook qui prennent largement en charge l’émotion qui peut se dégager du film. Celle-ci s’accentue dans les derniers moments de La guerre à Paris, lorsque l’Histoire commence à rattraper ses jeunes adultes. La longue scène des prisonniers permet ainsi au film de se finir sur un climax déroutant. C’est aussi là que le mélange de film intimiste à la française et du film historique prend tout son sens. Magnifique hommage non pas à l’Histoire mais à ceux qui l’ont subie et vécue.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 31 octobre 2005