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La Repentie, de Laetitia Masson

Anges déchus

Pour son quatrième film, Laetitia Masson abandonne son actrice fétiche Sandrine Kiberlain pour s’entourer de deux comédiens sur le retour Samy Frey et Isabelle Adjani. La Repentie confirme les essais précédents de la réalisatrice. Il est ici question d’amour, d’errance et de musique. Un objet étrange et envoûtant à l’image de son actrice principale.


L’attraction du vide. Voilà ce qui caractérise bien le dernier film de Laetitia Masson, La Repentie. Ce dernier est une pure oeuvre de fiction qui fait fi du réel pour se consacrer à deux figures. Si l’on parle beaucoup dans la presse du retour d’Isabelle Adjani, le film conte avant tout l’histoire de sa relation avec le personnage interprété par Sami Frey. L’actrice joue Charlotte, une jeune femme qui, sortie de prison, part refaire sa vie à Nice. A la recherche d’un emploi, elle rencontre un vieil avocat Paul qui l’engage comme escort-girl. La cohabitation entre les deux est difficile. Pendant ce temps, deux de ses anciens amants Karim (Samy Naceri, assez sobre) et Joseph (Jacques Bonnafé) ont décidé de mettre un terme à la vie de cette briseuse de coeur. Le premier part à sa recherche. Si l’intrigue pouvait promettre un film à suspense, le traitement de Laetitia Masson est radicalement différent. La seconde intrigue est secondaire. Elle sert à peine à faire rebondir le film dans sa dernière demi-heure.

Laetitia Masson a construit La repentie autour de visages, de musiques et de lieux. La réalisatrice filme trois cadavres en sursis, déjà brûlé par la vie et l’amour, à la recherche d’une rédemption. Une grande partie du film se joue autour de ses trois acteurs. Ces derniers sont élevés au rang de pures figures cinématographiques, corps figés et très expressifs. Samy Naceri n’a que très peu de ligne de dialogue et une présence assez secondaire. Il est ici utilisé pour son visage balafré qui donne une touche inquiètante et menaçante au personnage. Sami Frey joue surtout de son regard désabusé, froid perdu. Il insuffle une certaine raideur et une mélancolie qui sied parfaitement au personnage. Enfin, Isabelle Adjani interprète un personnage constamment en décalage aux multiples personnalités. D’une scène à l’autre, elle passe de la légèrété, la beauté à quelque chose de plus douloureux de l’ordre de la haine de soi. Charlotte est aux portes de la folie, sur une corde raide.

Le film progresse avec l’affect de ses personnages qui détermine toute l’évolution du récit. Paul et Charlotte apprennent peu à peu à cohabiter, à s’ouvrir à l’autre et refermer les plaies. Les mensonges s’effacent mais le danger n’est pas loin derrière, toujours menaçant. Ses personnages sont dans une disponibilité totale à leurs sentiments. Ils ont coupé toute attache et cherchent à rescussiter une gloire passée. La Repentie est un film de l’instant à la construction plutôt fragile.

Cette impression est renforçée par l’importance donnée par la réalisatrice à la musique qui multiplie les scènes d’apparence gratuite qui marquent des pauses dans la narration. Les morceaux sont assez éclectiques d’Alicia Keys à franck Sinatra en passant par Natacha Atlas reprenant le Ne me quitte pas de Jacques Brel. La musique joue donc un rôle fondamental. Elle exprime d’une part les sentiments enfouis des personnages et d’autre part donne l’impression que tout est déjà joué. Ce type d’histoire a déjà existé auparavant et l’histoire de Charlotte et Paul n’est qu’une redite, une variation de plus autour du piège des sentiments. La musique énonce enfin la problématique première de La Repentie.

Il n’est question ici que d’espaces à habiter comme le personnage interprété par Adjani s’accapare des morceaux qu’elle écoute. Elle oublie tout le reste, s’y donne complétement. Les personnages apprennent ainsi à habiter les boutiques chics de Nice, l’hôtel Negresco comme un pauvre village marocain ou une surface de supermarché, la famille représentant le lieu inhabitable par excellence. L’important n’est finalement pas où l’on se trouve mais avec qui. Charlotte et Paul apprennent peu à peu à se battre, à danser ensemble un tango à la vie, à la mort sans savoir au final qui aura le dernier mot.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 15 septembre 2004