Artelio

accueil > Cinéma > article




 

Le Monde de Nemo

Les studios Pixar n’ont plus à faire leur preuve. Le monde de Nemo est une nouvelle petite réussite du film d’animation. L’histoire d’un poisson-clown Marlin obligé de traverser les océans pour sauver son fils Nemo prisonnier d’un aquarium. Drôle et visuellement splendide.


(JPEG) Nouvelle production des studios Pixar, Le monde de Nemo retravaille un concept proche de ceux de Toy story ou Monstres et Cie. Après s’être plongé dans l’univers des jouets et des peluches, l’animation s’intéresse ici à celui des animaux domestiques. Plus précisément les poissons. Que se passe-t-il quand on tourne le dos à un aquarium ? Que font les poissons au fond de l’océan ? Là où le cinéma traditionnel s’est contraint de fait à filmer l’homme (à l’exception de rares comédies et documentaires animaliers), Pixar profite à plein des possibilités offertes par l’animation pour aller voir ce qu’il se passe au-delà de ce que nous voyons. La représentation est détachée des contraintes physiques de l’œil et de la caméra. Les points de vus sont inversés. Ce n’est plus nous qui regardons les poissons mais eux qui nous observent. Il est intéressant de noter que l’homme apparaît ici d’abord comme le plus terrible des prédateurs. Du fait du manque de considération pour les êtres qui l’entourent c’est la plus dangereuse des menaces. C’est un scaphandrier qui emporte Nemo dans l’aquarium de son cabinet de dentiste à Sidney. Ce serait pourtant une erreur que de lire ce Monde de Nemo comme une simple critique du comportement des hommes au nom du respect des animaux. Si les points de vue sont inversés, le film ne cherche jamais à approcher une quelconque logique animale. Les poissons du Monde de Nemo n’en sont pas. A quelques exceptions près comme les mouettes, les animaux présentés sont en réalité des humains prisonniers dans des corps de poissons, de mollusques ou d’oiseaux. Le film ne fonctionne que grâce à son anthropomorphisme. Le spectateur s’intéresse aux histoires de Nemo et de Marlin uniquement parce qu’il peut se les réapproprier. Leurs comportements répondent à des psychologies calquées sur les nôtres. Les jeunes sont naïfs. Ils veulent de l’aventure. Ils ont soif de découvrir le monde. Les adultes à l’opposé sont plus méfiants et conservateurs du fait de leur expérience. Par le détour du monde marin, le film s’interroge d’abord sur le nôtre.

(JPEG) Le monde de Nemo a donc pour but de nous familiariser avec l’inconnu. Le message se veut fédérateur, rassurant. Dans ce cas-ci, presque trop. Le film repose principalement sur la notion de thrill. Le monde de Nemo vise avant tout à produire une série ininterrompue de sensations fortes à la manière d’une fête foraine. Chaque scène cherche à faire naître une réaction immédiate du spectateur que ce soit la peur du danger, le rire ou la joie. Il n’y a pas de place pour le temps mort. Ce jeu avec le spectateur est poussé très loin. De multiples recours à l’ellipse ou au hors-champ suggèrent qu’un des personnages a pu mourir ou est du moins en grave danger. Cette crainte est renforcée par le tour de force de l’ouverture qui voit disparaître de la même manière la quasi-totalité d’une famille de poisson-clown. Le spectateur a ainsi enregistré la présence d’un véritable danger et la façon de le mettre en scène. La double référence à Hitchcock à travers l’utilisation de la musique de Psychose et la parodie des Oiseaux n’a donc rien de gratuit. Les scénaristes et réalisateurs de Nemo se sont directement inspirés des techniques du maître du suspense.

(JPEG) Pour être complètement efficaces, ces méthodes auraient dues être accompagnées d’une réelle mise en danger des personnages. Or, passé la première scène, ce n’est jamais le cas ici. Le monde dans lequel évolue Nemo est simplement moins périlleux qu’il en a l’air. Tout le film vise à démonter l’horreur que fait naître l’ouverture. Avec sa construction circulaire, Nemo cherche à remplacer une image par une autre. La première scène est effacée par la dernière. Ainsi, les requins ne sont plus des dangers pour les autres. Ils essaient de faire évoluer leur image et maladroitement de se lier avec les autres espèces. "Les poissons sont des amis, pas de la nourriture", ne cessent-ils de répéter. De même la baleine ou le pélican n’essaient pas de dévorer nos personnages. Ils font tous pour les aider. Nemo ne cesse de montrer que le danger n’est pas où l’imagine. Le canyon aux airs redoutables est plus recommandable que le passage au-dessus qui ne présente aucune menace apparente mais qui est en réalité peuplé de méduse. Toutes les figures sont ainsi inversées. Gill est d’abord présenté de manière menaçante. Sa voix rauque rappelle celle des méchants de Disney. Or, ce personnage servira d’initiateur à Nemo dans l’aquarium. C’est lui qui l’encouragera à se surpasser. La menace n’est plus lisible dans l’apparence de l’autre.

(JPEG) Le véritable danger est en réalité ailleurs. Il est dans le repli sur soi castrateur de Marlin ou dans l’amnésie de Dory. La menace n’est pas à chercher à l’extérieur mais à l’intérieur de chacun de nous. Le danger ne vient plus du canyon mais du fait que Dory oublie le conseil des poissons qu’elle vient de rencontrer. Les requins sont ainsi maîtres de leur image et de leur comportement. S’ils veulent appartenir au monde marin, il leur faut faire des efforts pour sauvegarder la vie des autres. Chaque individu peut contribuer au bien être de son environnement. Tout est affaire de solidarité. On comprend ainsi que le film ne cherche pas à racheter les hommes. C’est au spectateur qu’il revient de s’interroger sur l’attitude de son espèce. Dans Nemo, la pire chose qu’il puisse arriver aux personnages, c’est d’être abandonnés à eux-mêmes. L’individu n’a de sens que dans son appartenance au groupe. C’est dans la communauté et par sa présence au monde qu’il se réalise. Après son épopée, Marlin redevient un bon père et un poisson drôle conformément à ce que doivent être les poissons-clowns. Son voyage lui a permis de faire de nombreuses rencontres et d’en apprendre un peu plus sur ceux qui cohabitent le même océan. Le film prône l’échange, la rencontre des cultures et se permet même de se moquer gentiment de l’orgueil américain. L’expérience de chacun est donc la source d’une mémoire collective qui améliore le sort des générations à suivre. La connaissance est la clé. C’est elle qui permet aux personnages de percevoir le monde tel qu’il est et non plus tels qu’ils le fantasment. Les exploits de Marlin sont transformés en histoire qui inspirent les autres à vouloir l’aider et à donner le meilleur d’eux-mêmes. C’est en voyant que son père est venu jusqu’à Sydney pour le sauver que Nemo trouve les forces nécessaires pour s’échapper. L’exemple du petit poisson sert de modèle par la suite aux autres restés dans l’aquarium. De même, le sauvetage du banc de poissons des filets des hommes ne peut avoir lieu qu’après que Gill a utilisé une première fois la même technique pour arracher Nemo des hommes.

(JPEG) Nemo encourage chacun à croire en ses capacités et en son pouvoir de changer le monde. Malgré leurs handicaps physique ou psychologique, Nemo et Marlin accomplissent les plus grands des exploits. Leur curiosité des hommes et du monde est leur meilleur gage de bonheur. Cette morale du dépassement de soi prend une résonance particulière ici puisqu’on peut très bien l’appliquer au travail des studios Pixar. En l’espace de quelques longs métrages, ils ont su élever le film d’animation par ordinateur bien au-dessus du travail du studio Disney et même de nombreuses productions présentant des personnages en chair et en os. Leur travail contribue à donner une vraie place et crédibilité à ce genre au côté du reste de la production cinématographique. Le film est un régal d’humour. Les réalisateurs et scénaristes manient avec brio l’absurde. L’amnésie de Dory ou la "cool attitude" des tortues sont particulièrement réjouissantes. Les studios Pixar transforment des environnements en apparence ordinaires en immenses terrains de jeu et d’aventures. Chaque film est ainsi l’occasion d’émerveiller un peu plus les spectateurs. La richesse et la variété aussi bien des personnages que des paysages sont ici particulièrement impressionnantes. Les jeux de couleurs et de lumières sont splendides. L’animation passe un palier supplémentaire par rapport à ce qu’on avait pu voir jusqu’ici. Nemo est l’histoire d’un petit poisson qui devient grand. Un conte qui va comme un gant au jeune studio Pixar.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 22 décembre 2004