Artelio

accueil > Cinéma > article




 

Le Stade de Wimbledon, de Mathieu Amalric

Deuxième long-métrage de Mathieu Amalric (qu’on a pu voir en tant que comédien dans des oeuvres comme Comment je me suis disputé d’Arnaud Desplechin, Fin aout début septembre d’Assayas ou plus récemment Amour d’enfance d’Yves Caumon) après Mange ta Soupe, Le Stade de Wimbledon est l’adaptation du roman éponyme de Daniele Del Giudice. Film sensible qui bénéficie de la grâce de l’interprétation de Jeanne Balibar, le stade de Wimbledon devrait ravir tous les amateurs du jeune cinéma d’auteur français.


Le stade de Wimbledon est une histoire double. A travers, la quête d’une jeune femme, on découvre peu à peu le monde littéraire de Trieste de l’après-guerre. Le personnage interprété par Jeanne Balibar enquête en effet sur un homme de lettre, aujourd’hui mort, ami d’écrivains mais qui n’a jamais rien écrit personnellement. En rencontrant ceux qui l’ont connu, elle essaie de retrouver les raisons de ce renoncement. Cette quête guide entièrement le rythme et le déroulement du film. Amalric cheche à aller à l’essentiel. Le film est court et le rythme alerte. Tous les déplacements aperçus sont en relation avec ces rencontres. Qu’elle visite les cafés et librairies de Trieste ou qu’elle se rende à Londres, Jeanne Balibar n’a qu’une obsession ou qu’un seul but. Elle a bien le temps de flâner un peu dans les rues (très beaux plans de l’architecture de Trieste) ou prendre un peu de temps pour se baigner, mais elle doit retourner ensuite rapidement à l’affaire qui l’occupe.

Cette partie apparente de l’histoire permet à Amalric d’aborder des thèmes comme le rapport à l’ecriture ou à l’art. Elle resuscite un monde riche pourtant aujourd’hui oublié de tous. Le paradoxe de ce faux écrivain trouve plusieurs explications possibles qui ne seront jamais sans doute pleinement satisfaisantes. La compagne de ce dernier va même jusqu’à affirmer à Jeanne Balibar : "vous avez beaucoup inventé".

Bien qu’assez intéressante, cette partie du film n’est pas la plus importante. En filigrane, cette quête dresse le portrait d’une jeune femme en quête d’une vie propre. Le film épouse parfaitement le point de vue de Jeanne Balibar. Amalric utilise même la voix-off de l’actrice pour nous révéler son intériorité à plusieurs reprises. Pourtant, de ce personnage, on ne sait pas grand chose. On ne sait pas qui elle est ou les raisons qui motivent son enquête. Elle se cache derrière ses recherches, se complaît dans le petit confort que lui offre ce travail. Elle s’enferme dans les librairies et bibliothèques et semble vivre sa vie par procuration en s’intéressant uniquement à cet écrivain.

Son rapport aux autres apparaît à plusieurs reprises comme problématique. Elle ne trouve rien à dire à la jeune étudiante du train, s’enferme dans ses histoires avec un jeune homme rencontré dans un bar londonien et regarde avec jalousie le couple et leur enfant au bed and breakfast. Petit à petit naît ainsi une sourde angoisse autour de ce personnage sans cesse en butte à des corps étrangers (le petit monde litéraire italien tout comme la partie de la piscine réservée aux hommes). La solitude semble créer chez elle une panique comme dans la chambre d’hôtel dans laquelle elle pète les plombs ou perdue au milieu de la mer sur son matelas. Jeanne Balibar a beau s’activer dans tous les sens, elle s’enferme petit à petit dans son propre travail d’écriture, objet de satisfaction personnelle auquelle elle s’attache en négligeant sa propre vie. La solitude apparaît comme le fardeau de l’artiste. Après ce long parcours, notre héroïne est-elle enfin prête à vivre sa vie ? Le magnifique dernier plan ne fait qu’ajouter plus d’interrogations autour de cette belle figure de femme étrange et décalée qui semble poser beaucoup de questions sans nous apporter toutes les réponses.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 10 octobre 2004