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Lucia y el sexo

Prise au mot

Julio Medem, jeune réalisateur espagnol, s’était fait un peu remarquer en France avec son précédent film, Les amants du cercle polaire. Sur le papier, son nouveau film, Lucia y el sexo, a de quoi plaire. Il se place en effet en filiation directe avec le second film d’Amenabar Ouvre les yeux, dont on retrouve ici deux des comédiens. Moins réussi que ce dernier, Lucia y el sexo devrait néanmoins plaire à tous les amateurs de structures alambiquées qui ont fini de se casser la tête sur Mulholland Drive.


(JPEG)Si on devait qualifier le dernier long-métrage de Julio Medem, il faudrait lui inventer le titre de "film-gruyère". Lucia y el sexo est fait de nombreux trous dans lesquels la narration ne manquera jamais de tomber. Tout commence un été de vacances sur une petite île. C’est une nuit de pleine lune. Lorenzo (Tristan Ulloa) et Elena (Najwa Nimri) font l’amour comme jamais ils ne l’avaient fait avant et comme jamais ils ne le referont. Cette première rencontre sera la matrice de tout ce qui suit, même si les deux personnages ne sont pas appelés à se revoir dans l’immédiat. Le film, lui, commence un peu plus tard. On retrouve en effet Lucia (Paz Vega) dans un bar. Son couple est en crise. Son compagnon, Lorenzo, meurt cette nuit-là, écrasé par une voiture. Le premier trou apparaît alors. On revient ensuite à leur rencontre. C’est le coup de foudre immédiat et le début d’une histoire passionnée et sensuelle. Julio Medem n’en oublie d’ailleurs aucun détail. En parallèle, on apprend qu’Elena est tombée enceinte de Lorenzo cette première nuit. Ce dernier se met à voir sa fille en cachette. Son histoire sera l’inspiration de son second roman qu’il a tant de mal à écrire.

(JPEG)Voilà le début de la longue et complexe intrigue de Lucia y el sexo, et aussi sa partie la moins convaincante. Il faut s’accrocher les trois premiers quart d’heure pour trouver un interêt à cette bluette érotique entre les deux jeunes amants. D’autant que tout semble déjà joué. L’histoire nous est racontée en flashback. On a déjà compris que Lorenzo est mort et que cette relation est vouée au néant. Julio Medem multiplie les niveaux de temporalité sans clairement en expliciter tous les enjeux. Les choses se compliquent assez rapidement par la suite, quand la création de Lorenzo, son second livre, est traitée visuellement d’égal à égae avec le reste de l’histoire, sans que l’on sache toujours si l’on est dans la réalité ou la fiction. Le spectateur qui se croyait en terrain convenu voit peu à peu tout ses repères disparaître. Il se retrouve en pleine histoire de morts, d’adultère et perversion. C’est alors que le film commence à exercer une certaine fascination. Tout est ici determiné par les mots, les paroles comme un film l’est en partie par le script. Quand Helena lit la première ébauche du manuscrit de Lorenzo et, déçue, s’écrit "Je m’attendais à une tragédie", le film bascule dans une ambiance beaucoup plus sombre et fantastique. Ainsi à plusieurs reprises, les affirmations des protagonistes auront un impact direct sur la poursuite du récit. Le film est un peu construit comme ces fameux livres "dont vous êtes le héros."

(JPEG)Au-delà de cette construction très brillante faite de multiples souterrains, comme on en retrouve sur l’île, qui mènent tous quelque part et font de Lucia y el sexo un objet filmique fermé sur lui-même, le film a aussi le mérite d’aborder de nombreux thèmes intéressants. Comme chez Amenabar, l’oeuvre est avant tout révélatrice de sentiments et pulsions enfouis dans notre inconscient. Le film est révélateur de personnages qui ont besoin d’un exutoire, d’un filtre pour faire face à la réalité. L’idée d’une création aussi bien artistique que physique (à travers l’histoire du bébé) joue un rôle primordial. Ce sont les objets les plus précieux car uniques et fruits d’une vrai passion. Ce sont aussi les plus fragiles, si facilement détruits ou abîmés. Lucia y el sexo est alors, avant tout, l’histoire de l’apprentissage du deuil. Tout est amené petit à petit à disparaître ou à se transformer que ce soit l’amour que l’on porte à son amant d’abord si passionné ou ceux qu’on aime. Le film remonte à la rencontre première, à l’intensité d’un départ, d’une naissance avant d’en filmer l’inévitable chute aux enfers. Les personnages tombent dans des gouffres, des abîmes dont ils ont bien du mal à réchapper. Il faut alors apprendre à survivre. C’est ce que feront peu à peu Lucia et Elena, à la recherche de l’oubli et d’un nouveau bonheur. Julio Medem nous rappelle que la vie n’est pas faite d’équilibres. Le spectateur un peu perdu ne peut ici qu’acquiescer.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 10 octobre 2005