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Memento Mori

Premier long-métrage de deux jeunes réalisateurs coréens, Memento Mori (littéralement "Souviens-toi de la mort") est une oeuvre d’une incroyable maîtrise. Terriblement troublant et angoissant, le film nous enmène dans un étrange voyage au sein d’une école de filles en Corée. Le temps de s’offrir quelques frissons, et de capter quelque chose de l’adolescence.


(JPEG)Jusqu’ici, on connaissait Carrie. Il faudra désormais ajouter Hyo-Shin au titre des héroïnes humiliées par leurs petites camarades, prêtes à tous les excès pour se venger. Memento Mori partage avec le film de De Palma, en sus de son aspect fantastique, une certaine vision de l’adolescence. Il y a quand même une différence de taille. Tout ici est plus chaotique et dynamique. Les adolescentes du film ont plutôt l’énergie et la fougue de celles de Noemie Lvovsky. Mais trêve de comparaisons.

L’action se concentre dans un lieu unique, un collège sud-coréen pour jeunes filles. Là, Minh-ah, une jeune adolescente, découvre le journal intime rédigé par deux de ses camarades, qui ont eu à une époque une liaison. Peu de temps après, une des deux jeunes filles est retrouvée morte, tombée du toit de l’école. Cet événement déclenche une série d’étranges phénomènes et d’hallucinations dans l’école. Le film peut clairement être découpé en deux parties. Il y a un avant et un après l’accident. Le début s’attache à une approche quasi-documentaire de ce monde adolescent, avant que l’ensemble ne bascule peu à peu dans le fantastique.

Devenir adulte n’est jamais une chose facile, comme Sofia Coppola l’a encore récemment prouvé. L’âge adulte s’inscrit ici plus facilement sur le corps que dans les esprits. Si, lors de la visite médicale, les jeunes filles guettent toute évolution de leur taille, de leur poids ou de leur poitrine, elles semblent avoir du mal à dépasser la candeur et la superficialité relatives à cet âge de la vie. Entre filles, on parle de mecs, on s’épanche, on s’amuse, on se dispute. Tout est vécu sur le mode de l’excès, l’amour, la haine, etc. Les relations entre les adolescentes ne vont pas non plus sans une certaine violence. La pression du groupe est énorme et certains comportements apparaissent d’une cruauté incroyable. Ce monde de l’excès est aussi celui du corps constamment en mouvement, débordant d’une énergie que ni les personnages ni le metteur en scène n’arrivent à canaliser.

(JPEG)Une des grandes particularités du film vient de sa mise en scène, que l’on pourrait qualifier de "paniquée". La caméra n’est ni droite ni posée. Tous nos sens et nos repères sont mis à mal par le montage. Les plans ne se raccordent à aucune logique, et les choses ne font qu’empirer avec le déroulement de l’intrigue. Memento Mori juxtapose de multiples types de plans, saturation des couleurs, sauts en avant et retours en arrière dans la narration, comme si les réalisateurs essayaient de remettre en place un puzzle mis en désordre. Ce ne sont que des fragments qui nous parviennent de la catastrophe imminente, annoncée des les premières lignes de dialogue. L’agencement du film est aussi une manière de creuser les personnages, de nous les dévoiler très progressivement dans tout leur drame et leur innocence à jamais perdu. Cette mise en scène "paniquée" suscite notre angoisse face aux phénomènes de plus en plus étranges qui pénètrent la réalité de l’école, désormais hantée par l’absence. Le film révèle alors une dimension assez inattendue. Memento Mori est avant tout l’histoire d’un amour tragique, sans aucun doute d’un premier amour, que notre héroïne n’arrivera jamais à dépasser et à oublier.

Memento Mori est un film angoissant, excessif et passionnant, malgré quelques maladresses. Il confirme l’une des grandes données de ces dernières années : l’adolescence est aujourd’hui un vrai sujet de cinéma (un grand sujet tout court). La réussite de ce premier film coréen en est le parfait exemple.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 17 octobre 2005