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Mondo Plympton

Le corps en folie

Dans "La vie excitante d’un arbre", un arbre observe la vie autour de lui et se défend vaillament contre la nature hostile. Dans "Comment faire l’amour à une femme" un maladroit expérimente à ses risques et périls la relation sexuelle. Dans "Poil de nez", l’arrachage d’un poil rebelle tourne au corps à corps sanglant. Dans "25 moyens pour cesser de fumer", un fumeur invétéré teste les solutions les plus radicales... Onze courts-métrages du génial animateur américain Bill Plympton, corrosive alternative poétique aux pointures actuelles de l’animation : Ghibli et Pixar.


Le réalisateur de L’incroyable lune de miel nous emmène, à travers ces onze courts-métrage d’animation réalisés entre 1987 et 1997, visiter ses angoisses paranoïaques sur un ton ironique qui allie désespoir et humour anglais. Avec une joie destructrice proche de celle de Tex Avery ou de Laurel et Hardy (références souvent citées par l’auteur), Bill Plympton détruit ses personnages (on dirait plutôt ses cobayes) sous nos yeux effarés. Un homme est haché menu par un téton transformé en hélice, un autre confond la cuvette des toilettes et la gueule d’un crocodile, un autre encore fume un bâton de dynamite pour se dégoûter du tabac. Le spectateur est tour à tour amusé, étonné ou écoeuré, mais jamais indifférent devant l’originalité de ce cinéma d’animation "pour adultes uniquement". L’humour froid de Plympton se marie à merveille avec l’absolue économie de moyens mis en oeuvre : minimalisme des bruitages, pureté du trait, simplicité et fluidité des animations.

C’est le monde selon Plympton, et ce n’est pas le meilleur des monde. C’est d’abord un monde extrêmement violent. La douleur y est omniprésente ; elle est dans l’arrachage d’un poil de nez, elle est dans la difficulté qu’un homme éprouve à arrêter de fumer, elle est dans les attaques des insectes que l’arbre doit affronter, et elle est surtout dans l’amour. Car dans le monde ultra-masculin de Plympton, le sexe faible est un sujet intarissable d’angoisse. On assiste ainsi dans "Comment faire l’amour à une femme" aux vaines tentatives de personnages malhabiles et sans défense pour réduire des pulsions qui les dominent. Les hommes sont isolés, ne savent pas aimer et ont pourtant besoin d’amour. La femme de Plympton est castratrice, dominatrice, c’est une parfaite mante religieuse dont le corps peut séduire mais avec laquelle toute communication est vouée à l’échec. Non seulement l’homme risque de voir son oeil crevé par un téton dressé, mais les conseils techniques dispensés par une voix off autoritaire et infantilisante ajoute à son humiliation et à son impuissance.

(JPEG)Dans le monde de Plympton les corps sont laids et se déforment sous les baisers comme sous les coups, sous les caresses comme sous les chocs. Il y a un évident plaisir sadique à voir ces personnages s’écarteler, se déchirer, se découper, se dévisser, s’écraser, s’étriper, et le tout en essayant de s’aimer. L’absence d’expression de douleur de la part de personnage stoïques ne fait que relever la souffrance des corps, leur fragilité. On est pas si loin des angoisses de Boris Vian, le romantisme en moins, pas si loin non plus du manga dans la représentation de la violence à travers la déformation des corps sous les chocs. Mais on pense surtout aux innombrables tortures subies par les personnages de Tex Avery, comiques parce qu’évidement outrancières, mais dont le tragique réside dans l’absurde, le non-sens et la vacuité.

Plus que d’imagination débridée, on parlerait donc pour Plympton d’inconscient, tant une analyse freudienne trouverait dans ces petits films d’animation matière à développements. La psychanalyse est d’ailleurs au fondement du surréalisme, et des angoisses de Dali à celles de Plympton il n’y a qu’un pas.

Pour éviter tout écoeurement du spectateur, les angoisses de Plympton sont habilement entrecoupées de "récréations", digressions plus légères et souvent musicales qui permettent au spectateur de reprendre souffle. A titre d’exemple, la déclinaison purement picturale du thème de la ligne - à l’origine un poil de nez - constitue un des film les plus réussi de la série. Mais personne n’est dupe : ces courts-métrages ne sont rien d’autre que des entractes, et Plympton un authentique paranoïaque.

par Corentin Bichet
Article mis en ligne le 13 décembre 2004