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Pour une approche critique du DVD : La Communauté de l’Anneau

La désacralisation numérique : cherchez l’auteur !

"Faut-il donc rappeler avec un regain d’innocence ou de simplicité - mais oui, il le faut ! - qu’un livre est un objet que le curieux regarde et touche avant de lire, puis caresse en lisant... Répéter qu’au premier coup d’œil, cet objet est promesse d’un contenu connoté par sa forme, ses proportions, son style, son ornementation, ses couleurs. Et souligner qu’une fois le livre en mains, la jouissance qui vient ou se dérobe suscite soit l’image d’un guide complice, soit celle d’un gardien hargneux. On ne cesse de répéter ici que les formes produisent du sens. Tel texte y perdra donc du sien s’il est mal casé. Aurait-on idée, se demande le lecteur, de loger avec raffinement ce qui est écrit sans talent ? Eh ! On n’est pas sans savoir qu’une belle façade peut cacher un taudis, et une autre, lézardée, dissimuler un palais...", nous dit Hubert Nyssen. [1]


(JPEG)Puisque le DVD semble devoir s’inscrire dans une problématique similaire, du fait de ses pratiques épitextuelles et paratextuelles [2], on peut légitimement interroger les effets induits par l’apparat éditorial. A la suite de Roland Barthes, on sait en effet que tout objet de discours, outre son message direct, sa dénotation, sa référence au réel, peut recevoir des "connotations" suffisantes pour entrer dans le domaine de la signification, dans le champ des valeurs. Tout peut devenir signe, tout peut être mythe. Or le mythe ne crée pas de langages, mais les détourne et les exploite à son profit en un métalangage, pour faire parler obliquement les choses. Le mythe a une double-fonction : "il désigne et il notifie, il fait comprendre et il impose" [3] si bien que le consommateur de mythes prend un système sémiologique pour un système de faits. Mais qu’impose-t-il exactement ?

La mercantilisation générale de l’image a généralisé la manière dont le cinéma est reçu, ou prétend devoir être reçu, c’est-à-dire comme un ensemble unifié (manière synthétique adoptée par la majorité de la "critique"), alors qu’à l’ère du tout-visuel et du numérique, quand bien même le passage en salles est encore ce qui donne à l’œuvre son statut, l’objet-film semble au contraire devoir exploser en des formes différentes selon les supports, les modes de consommation, les lieux ou encore les publics.

L’édition spéciale de La Communauté de l’Anneau est symptômatique d’une remise en cause radicale de la question de l’auteur, concomittente avec l’apparition d’un système éclaté de volonté de pouvoir, qui est le propre du paradigme numérique.

Le packaging

Du livre, le DVD emprunte le format, et la répartition de l’information entre un recto (la couverture) et un verso (la quatrième de couverture). On sait que l’accès au texte relève du rituel. De même, le DVD est soupesé, manipulé sous tous les angles, donnant toute son importance au choix des matériaux (carton épais, souple, mat, brillant, effets de textures, etc.). Le packaging de DVD présente deux niveaux de significations : il renvoie au film bien sûr, mais aussi et surtout à lui-même, l’objet-DVD. Un habillage extérieur fastueux laissera subodorer une habillage intérieur (menus, compléments) de la même tenue, ce en quoi ce support de stockage réussit à actualiser le fétichisme de la vieille bibliophilie.

Le DVD de La Communauté de l’Anneau se présente dans un boîtier cartonné avec un fourreau imitant la texture d’une reliure verte usée. En lettres d’or, le titre est légèrement en creux. Il s’agit d’un lettrage classique en capitales. Il n’y a aucune image du film, ni aucune spécification de détail quant au contenu. Le fait que la mention "Version longue, Edition spéciale 4 DVD" soit présente à la fois sur le recto et sur la tranche dénote d’autant plus l’importance dont on l’investit. Elle sert à délinéer plus précisément l’habituel terme collector, qui recouvre selon les éditeurs des réalités diverses, mais aussi à indiquer la spécificité de cette édition par rapport à la précédente, qui est sortie seulement trois mois auparavant. Plus subtilement, on peut y déceler l’intention du cinéaste par rapport à ce nouveau métrage.

(JPEG)Effectivement, préciser version longue plutôt que version définitive [4] par exemple, revient à ne pas invalider le précédent montage. Jackson est de ces réalisateurs qui brandissent la différence de dispositif scénographique entre projection en salles et pratique du vidéogramme pour supposer une différence de disponibilité du spectateur, et partant avaler la pilule des impératifs de durée de leur film. [5] Si le Néo-zélandais avait considéré son montage long comme le seul qui vaille, il l’aurait imposé directement pour le DVD, le succès de son film le lui permettant (ceci, si l’on veut bien admettre qu’il est insensible aux arguments marketing). Il ne l’a pas fait. Selon ses dires, les deux montages sont complémentaires dans le sens où chacun a été pensé selon une focalisation différente. Il n’y a pas une version tronquée et une autre complète. Doit-on y voir la manifestation inaugurale du discours à l’œuvre dans ce DVD ? En l’occurrence, il serait question de ne pas invalider un premier travail de montage qui aurait été pensé comme un tout de trois heures et non comme un film de 3h30 tronqué, la version longue n’étant pas présentée comme la version salle complète, mais comme une nouvelle création par rapport à un matériau de rushes énorme. On voit ici comment le choix de mentionner ou non certaines spécifications peut découler d’une volonté artistique - ou justificative (selon qu’on adhère ou pas au laïus de Peter Jackson).

Au recto du coffret, l’accent est mis sur le titre de la première partie, La Communauté de l’Anneau, et non pas sur le titre générique de la saga (Le Seigneur des Anneaux), qui, s’il est présent, n’en est pas moins mis au second plan, comme en atteste son lettrage plus petit. Cette édition spéciale se différencie donc clairement de l’édition courante, en s’adressant directement à un destinataire familier de Tolkien, ou du film, puisqu’elle privilégie le titre particulier, moins connu du grand-public que le titre global.

Il en résulte d’emblée un effet de connivence, qui se manifeste encore par la reproduction au verso des symboles gravés sur les Portes de la Moria, originellement dessinés par Tolkien lui-même. On peut légitimement se demander pourquoi cette image précisément a été choisie. Est-elle représentative du premier film ? On aurait pu s’attendre à celle d’un anneau, étant donné l’insistance qui est faite dans le film sur l’Anneau lui-même et sur les enjeux qui tournent autour. Le choix de cette illustration s’éclaire lorsqu’on étudie le digipack intérieur. Sur son verso, on peut voir une mise en situation du dessin de Tolkien, par Allan Lee, concepteur artistique sur le film et iconographe chevronné de l’œuvre tolkiennienne ; les Portes sont ouvertes, un peu plus loin, le groupe d’aventuriers se trouve au pied d’un immense escalier en ruine s’élevant dans la Moria, cette cité troglodyte que les personnages traversent durant leur périple. Ainsi, dans un premier temps, le DVD invoque le patronage de Tolkien, qui donne gage d’authenticité (ici mise en relation avec la simili-matière noble du fourreau), puis dans un second temps, le prolonge par une ouverture (au sens propre comme au figuré) sur l’inconnu, qui comme chacun sait, est synonyme d’aventure. Même si le choix de la Moria fait inévitablement songer à une des séquences d’action les plus intenses du film, le renvoi est ici essentiellement fantasmatique.

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Le digipack s’ouvre comme un livre, les suppléments revêtent le nom évocateur d’Appendices (référence évidente à ceux écrits par Tolkien). Au mystère de l’aventure, se superpose celui du grimoire. La carte sur un des volets intérieurs, les lieux-clés du périple, représentés par des croquis vieillis [6] sur les différents disques eux-mêmes, achèvent de déployer l’imaginaire du voyage et des temps immémoriaux qui baigne Le Seigneur des Anneaux dans son entier, ici évoquée métonymiquement par tous ces éléments signifiants. Ces marques d’effacement (aucun renvoi iconique précis au film) témoignent d’un réel respect, voire d’une certain déférence, vis-à-vis du matériau d’origine, à tel point, que chaque volet du digipack est estampillé d’un médaillon héraldique inspiré par des dessins personnels de Tolkien.

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Les menus

Dans son interface graphique, le DVD du Seigneur des Anneaux achève de rendre littérale la similitude sous-jacente qu’entretiennent fondamentalement livres et DVD. Les menus présentent ici des vues plongeantes sur un livre ouvert sur un bureau. Les transitions s’opèrent sobrement par des fondus-enchaînés.

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Le menu du chapitrage est composé de croquis représentant les lieux où se déroule chronologiquement l’aventure. Le vignetage de l’image revêt une forme légèrement différente selon le croquis dans lequel il s’insère (les croquis variant à chaque groupe de chapitres). Quand la vignette est réduite en taille, l’image est réduite en échelle, mais peu recoupée. Les contours floutés se perdent dans les entrelacs crayonnés, entraînant de la sorte une porosité symbolique entre l’imaginaire iconographique suscité par le monde inventé du Tolkien, et le rendu purement cinématographique du film. Les séquences inédites ou additionnelles de cette version longue sont indiquées par la présence d’un astérisque. Les titres sont disposés à la manière d’une table des matière, c’est à dire en un colonage qui tranche avec l’habituelle conjonction entre vignettes et titres. Cette approche "livresque" se manifeste enfin par de nombreux emprunts aux titres mêmes des chapitres du livre de Tolkien, notamment par la mention de lieux ou de personnages dont il n’est fait nulle part mention explicite dans le film, ce qui a pour effet de rendre sensible le hors-champ fictionnel de l’œuvre écrite.

Les images animées dans la vignette ne sont pas vraiment illustratives, car la musique pure remplace dialogues et ambiances. Gommer le sens concret de la scène vise à n’en faire qu’une pure représentation iconique. Ainsi le film se donne pas à voir en tant que tel, mais comme une mise en image de la projection fantasmatique induite par le titre de chapitre et le visuel environnant.

Il se dégage de ce dispositif l’idée d’un livre d’images avec ses légendes, soit la nature profonde du projet cinématographique à l’œuvre : illustrer l’écrit plutôt que de se le réapproprier. On voit là un effacement des instances d’autorité que sont le réalisateur et les acteurs. Tout est circonscrit à une matière imaginaire mythique, dans laquelle le travail effectué viendrait humblement s’insérer.

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Les appendices

Le film du Seigneur des Anneaux apparaît effectivement moins comme l’œuvre d’un seul homme que comme une création collective. L’organisation des suppléments parachève les effets de sens induits par le packaging et l’habillage des menus. Peter Jackson ne s’y trouve jamais significativement mis en avant, en terme de temps de présence à l’écran ou en temps de parole (dans le commentaire audio, Jackson s’avère "noyé" symboliquement dans un flot d’autres commentateurs).

Le réalisateur néo-zélandais fait son commentaire avec ses deux scénaristes, et n’aborde avec elles que des questions d’ordre scénaristique ; jamais il n’endosse la responsabilité du film fini, dans ses ratés comme dans ses réussites. Hormis le commentaire des acteurs, on trouve en outre un moins traditionnel commentaire des équipes artistiques (décorateurs, costumiers, prothésistes, producteurs, etc.), ainsi que des équipes de post-production (effets sonores, musique).

Ces participants inhabituels contribuent à amoindrir l’importance du réalisateur dans le processus créatif, et ce, d’autant plus que les commentaires atteignent les nombres fantaisistes de treize intervenants pour celui de la post-production et de dix pour celui des acteurs. Bien évidemment, tant de personnes n’ont pu être enregistrées respectivement dans une même session (ce serait cacophonique, ou certains monopoliseraient la parole). Les commentaires sont en réalité un montage des différentes interventions enregistrées séparément, par petits groupes ou individuellement.

Le corollaire de ce dispositif, découlant d’une sympathique intention démocratique de donner la parole à tous, est un débit extrêmement élevé d’informations intéressantes (il n’y a quasiment aucun silence). Le commentaire est ici conçu comme le lieu où prime la somme des détails sur le déploiement d’une vision englobante, ce qui s’avère sommes toutes un reflet très exact du film, où tout le processus créatif développé dans le making-of montre que Jackson privilégie l’accumulation de détails pour instaurer la croyance du spectateur en son film, plutôt que l’essence spirituelle du livre de Tolkien. L’interrogation réflexive - être cinéaste et auteur, c’est aussi penser son médium par rapport à sa recherche personnelle d’expression - le cède ici à une informativité pure, où l’on prend conscience du formidable travail d’équipe que constitue la fabrication d’un film.

Ainsi, le commentaire audio des scénaristes n’apporte pas un regard critique sur ce qui vient d’être accompli. [7] Leur regard explicatif reste au niveau du comment et n’aborde que rarement le "pourquoi". Le "pourquoi" fait appel à la part intime de l’acte créatif, et il est très difficile de l’aborder dès lors que le commentaire se fait à plusieurs, car les propos rebondissent les uns sur les autres, et instaurent un espace communicationnel sur le mode de la conversation. Celle-ci, par le flux verbal qu’elle induit, empêche les intervenants de prendre de la hauteur par rapport à ce qu’ils voient. Ils sont dans la réactivité instantanée face à l’image (ceci de manière générale, car il arrive évidemment que des propos, fonctionnant par association d’idées se détachent pendant un certain temps du flux d’images et abordent le film dans sa globalité).

A l’inverse et pour prendre une édition DVD d’un film contemporain, on citera Jacques Audiard et son commentaire de Sur mes lèvres, seul face à son film, posé d’emblée comme l’unique responsable de sa création. Ce face-à-face du créateur avec son œuvre lui permet de déployer mémoire et réflexion, d’ordonner sa pensée, pour évoquer ce qui lui a importé le plus. La parole n’y est donc pas illustratrice, l’absence de making-of y est en soi une démarche. Sur mes lèvres ménage un espace d’intervention à l’auteur, qui permet de ne pas fermer le regard, l’instance éditoriale du DVD ayant généralement tendance à faire croire que les images qu’elle montre sont celles qui disent la vérité définitive sur le film. L’expression subjective spontanée casse tout discours implicite. Mais à quel discours avons-nous affaire avec le DVD de La Communauté de l’Anneau ?

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Ce qui prime dans cette édition spéciale du film, c’est la gestion pragmatique des options esthétiques. Celles-ci renvoient évidemment à l’idée que le réalisateur se fait du lieu, de la scène, de sa signification, mais toujours dans une optique qui se limite au "qu’est-ce qu’a voulu dire Tolkien ici ?", alors que faire œuvre de cinéaste nécessiterait peut-être de se demander "qu’est-ce qu’a voulu dire Tolkien ici ?" et "est-ce important pour moi ?"

Il est assez révélateur que Jackson expédie assez rapidement ce qui l’a poussé à adapter Tolkien (ses raisons sont banales et superficielles : séduit par la dimension épique et l’exotisme de l’univers, il ne pipe mot de la vision de l’Homme et du monde qu’a Tolkien, sa morale, ses thèmes). A ce titre, le lien entre le documentaire inaugural sur Tolkien et celui du travail sur l’adaptation proprement dite est ténu. Ce documentaire s’appesantit sur la vie de Tolkien, mais ne décrypte pas en profondeur ce qu’il a voulu dire et faire. Certains éléments sont évoqués mais sans grande logique d’ensemble - éléments mythologiques, linguistiques - mais il n’y a pas une véritable analyse des thématiques du livre. Ces thématiques ne sont pas non plus mises à jour dans le travail d’adaptation comme des lignes structurantes, ce en quoi, l’on comprend que le parti-pris est bel et bien ici de privilégier la matérialité fonctionnelle de la création artistique, aux dépens du processus d’intellection qui la précède et la dirige. Certes, les remarques du monteur, voire des scénaristes, donnent à voir le processus de réflexion sur la signification du récit (la fameuse sédimentation des différentes versions et le tâtonnement du processus créatif). Mais ces propos sont minoritaires dans la totalité des informations délivrées par les suppléments, et ne peuvent être perçus comme l’angle d’approche principal du DVD.

Les bonus nous montrent que le cinéaste s’efforce de rester dans une position d’objectivité par rapport à son matériau. Il s’efforce d’être rationnel dans son adaptation (tirer les éléments de caractérisation et les pivots narratifs pour les agencer d’une nouvelle façon, optimisée en terme de narration cinématographique, de manière à respecter le sens global de l’histoire et les personnages) ; il s’enchaîne à la fidélité - qui est une servilité qui ne veut pas dire son nom... - alors qu’il pourrait passer le livre de Tolkien au tamis de sa subjectivité.

Il résulte de tout ceci un nivellement symbolique du travail, qu’il soit scénaristique, ait trait à la production, concerne les costumes, les effets visuels ou sonores, etc. Il est effectivement vrai que dans la réalité du cinéma, chaque partie a autant d’importance que les autres, mais que le dispositif le mette à jour de manière aussi radicale a pour effet d’ôter toute prééminence au réalisateur. Les bonus donnent donc l’image d’un film communautaire, où les talents individuels ne sont pas charroyés par une vision puissamment personnelle, mais co-existent sur un pied d’égalité. Par le nombre de leurs intervenants, bonus et commentaires donnent donc à voir de manière frappante le phénomène de synergies à l’œuvre pour la fabrication d’un film. Ils témoignent d’une approche résolument généreuse, qui révèle une conception tout à fait altruiste du cinéma. [8]

Ici, deux DVD sont consacrés aux bonus, avec six heures de documentaires couvrant l’écriture du scénario à la promotion du film, en passant par toutes les phases-clés de la fabrication d’un long-métrage. S’ajoute à cela les quatorze heures d’écoute des quatre commentaires audio, miraculeusement non redondants avec le contenu des documentaires, et l’on prend la mesure de l’énormité de ce que peut le DVD d’une part (une contextualisation de plus de vingt heures), et l’énormité de la tâche accomplie par ces gens pour mener à bien la mise à l’écran du Seigneur des Anneaux. Le fait que les documentaires laissent à chaque personne la plus appropriée parler de son domaine avec précision, pertinence et enthousiasme, en lieu et place d’un sempiternel making-of avec une voix off omnisciente, est pour beaucoup dans l’impression de partage ; il se crée une proximité étrangement conviviale, comme si le fait de connaître toutes les figures marquantes de l’équipe nous donnait l’impression d’avoir été un peu en leur compagnie. Mais cette méticulosité avec laquelle chaque phase de fabrication est détaillée, peut aussi se lire comme une formidable entreprise mythologique.

D’une part, elle rend hommage au travail fourni par tous et souligne l’importance maniaque du détail dans le mode créatif de Jackson (les galeries conséquentes de photos de maquettes et de costumes, pour chaque lieu et chaque personnage, témoignent d’une volonté de rendre justice aux détails qui ne peuvent apparaître tous dans le film). D’autre part, la contextualisation des images est ici poussée à un tel point qu’elle parvient à dépasser les travers qui lui sont ordinairement attribués (une perte d’émerveillement, et partant, de croyance dans le cinéma). Par-delà le décorticage du travail accompli, la fascination demeure, bien qu’à un autre niveau, grâce à la profusion des informations (qui fait prendre conscience de la somme de talents derrière les images), l’unicité d’un ton résolument chaleureux et l’ampleur de ce qui se présente in fine comme une véritable aventure humaine.

L’exaltation de la dynamique créative collective entraîne une proximité nouvelle, qui fait écho à la proximité structurelle entraînée par l’objet-DVD, [9] et exalte indirectement la technologie numérique, en ce que cette édition DVD valorise l’effacement de la notion d’auteur. En posant comme nouvelle valeur l’évitement à la question "qui est dépositaire de l’autorité sur l’œuvre ?", ce DVD cohérent de bout en bout nous confronte à la manifestation d’un rapport à l’œuvre désacralisée en tant qu’œuvre.

En cela, il est conforme à l’époque.

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L’Exception est un groupe de réflexion réunissant cinéastes, enseignants, théoriciens (critiques, philosophes) et praticiens (membres de l’industrie cinématographique). Elle mène une réflexion sur l’évolution des représentations et sur les possibilités de l’action publique dans l’ensemble des domaines culturels. L’Exception publie des comptes-rendus. Ceux qui souhaitent penser le DVD pourront se reporter à l’ouvrage Le Banquet imaginaire I, paru en 2002 chez Gallimard. Pour L’Exception, le DVD réfracte tout un ensemble de questions théoriques, esthétiques et même politiques, et s’avère être par conséquent l’angle d’attaque le plus pertinent pour réfléchir à l’état du cinéma contemporain.

par Alaric P.
Article mis en ligne le 27 août 2005

[1] Hubert Nyssen, Du texte au livre, les avatars du sens. Nathan, Paris, 1993, p. 69. Ceci renvoie précisément à l’aliénation du sens par la signification, dont parle Barthes dans Mythologies.

[2] Ce vocable emprunté au champ littéraire, forgé par Jean Genette dans son livre Palimpsestes, désigne l’ensemble des discours de commentaire, de présentation ou d’accompagnement tenus sur une oeuvre, soit par son auteur (paratexte auctorial), soit par d’autres écrivains ou non-écrivains (paratexte éditorial).

[3] Roland Barthes, Mythologies, Le Seuil, Paris, 1970, p. 190.

[4] Les fameuses director’s cut, véritable effet de mode dont se délecte le DVD...

[5] De même, Ridley Scott parle du syndrome "mal au cul" pour justifier une version DVD de Kingdom of Heaven plus longue de quarante minutes.

[6] Il va de soi que l’illustration crayonnée, dans son inachèvement même, ne donne pas un objet précis à l’imagination, moins qu’une image tirée du film.

[7] Accordons à Jackson et son équipe qu’il est certainement plus dur d’analyser avec recul des choix encore à l’œuvre, ici dans la post-production des deux autres volets de la trilogie, alors non encore achevés. De ce point de vue, il serait intéressant d’écouter le commentaire audio du Retour du Roi.

[8] Vision généreuse qu’on retrouve à coup sûr chez les réalisateurs qui s’impliquent dans l’édition de leurs films en DVD. Christophe Gans et son Pacte des loups en est le meilleur exemple français.

[9] Proximité structurelle via sa forme manipulable et ses possibilités de circulation dans la matière même du film, grâce au chapitrage.