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Punch-drunk love

Un harmonium, d’étranges coups de téléphone, des carambolages inattendus, un coup de foudre : tel est le détonant cocktail que nous propose Paul Thomas Anderson avec Punch-drunk love. Pour son quatrième long-métrage après Boogie Nights et Magnolia, le jeune cinéaste américain dynamite ici les codes de la comédie romantique. Le film a reçu le prix de la mise en scène ex-aequo avec Ivre de femmes et de peinture d’Im Kwon-Taek au dernier Festival de Cannes. Punch-drunk love confirme de manière magistrale que Paul Thomas Anderson est bien un des cinéastes les plus doués et originaux de sa génération.


Décrire l’intrigue de Punch-drunk love est un véritable défi tant le nouveau long métrage de Paul Thomas Anderson s’évertue à brouiller les pistes. Dès les premières images, le réalisateur réussit à prendre le spectateur par surprise continuant par la suite sur sa lancée dans quasiment chacune des scènes du film. A l’intrigue sentimentale qui relie les personnages de Barry Egan (Adam Sandler) et Lena Leonard (Emily Watson) s’ajoute une tentative d’escroquerie par le biais du téléphone rose et un jeu-concours monté en partenariat entre "Healthy choice" et "American Airlanes". Cette dernière piste est celle qui a originellement inspiré le cinéaste. Punch-drunk love est adapté de l’histoire vraie de David Phillips, un ingénieur civil de l’Université de Californie qui a participé à une offre promotionnelle sur des voyages en avion et a gagné des millions de miles gratuits. Ce fait-divers n’est pourtant au final qu’un des très nombreux éléments qui traverse le film en arrière-plan. Comédie romantique décalée qui suscite à de très nombreux moments un certain malaise, Punch-drunk love est avant tout un récit d’initiation. Le film retrace l’histoire d’un homme qui apprend peu à peu à s’affirmer par le biais d’une relation amoureuse.

Barry Egan est présenté dès le début du film comme un être totalement inadapté à la vie. Entouré de sept soeurs qui ne cessent de le harceler et de le rabaisser sans se rendre compte des dégâts occasionnés, il a développé une timidité maladive qui l’empêche de rencontrer l’âme sœur. Il se révèle également victime de comportements violents et compulsifs qu’il ne peut maîtriser. Solitaire, il va jusqu’à avoir recours à un service de téléphone rose pour prendre contact avec une femme. C’est un personnage totalement imprévisible à l’image du film. Barry Egan est interprété d’une manière magistrale par Adam Sandler, qui trouve enfin ici un rôle à la mesure de son talent. Le comédien, plutôt habitué à jouer dans des comédies insipides, donne une véritable complexité à son personnage. Ses déplacements incessants, sa façon de ne jamais regarder dans les yeux ses interlocuteurs ou son phrasé heurté et maladroit : tout son corps concourt à exprimer son mal-être. Déclarant lui-même ne pas s’aimer, Barry Egan refuse de se confier aux autres préférant mentir ou éviter d’aborder certains aspects de sa personnalité. Le personnage n’est pas aidé dans le film puisque le scénario de Punch-drunk love passe son temps à le mettre dans l’embarras depuis le premier repas familial pour l’anniversaire de sa sœur au restaurant où il invite Lena en passant par les démonstrations ratées à son bureau.

Les caractères de chacun des personnages sont parfaitement relayés par l’inventivié de la mise en scène de Paul Thomas Anderson. Les mouvements de caméras sont très nombreux et variés. Le cinéaste alterne de longs plans séquences et des scènes plus découpées comme celle en voiture centrée uniquement sur les visages des deux principaux protagonistes. D’un point de vue plus général, ces déplacements incessants révèlent un espace encore à maîtriser pour les personnages. Déboussolés, ils arpentent les lieux où ils se trouvent aussi bien en longueur qu’en profondeur à la recherche de l’emplacement idéal. Les personnages chutent et reviennent sur leurs pas à plusieurs reprises. C’est ainsi le cas de Lena quand elle décide d’inviter Barry à dîner ou de ce dernier à la recherche de la porte de la jeune femme pour l’embrasser. D’autres mouvements d’appareils en apparence plus gratuits ainsi que de rapides changements de cadre créent un certain malaise chez le spectateur qui n’est pas sans rappeler celui des personnages. Le travail sur le son va dans le même sens. Il joue ici un rôle primordial dictant la tonalité de chacune des scènes. Paul Thomas Anderson et son équipe ont ainsi opté pour une alternance de tension créée par une surcharge sonore de percussions et de romantisme porté par des mélodies inspirées des comédies musicales des années 1940.

Ce travail sur le son n’est pas sans rappeler celui d’un Jacques Tati. Paul thomas Anderson reconnaît lui-même que le cinéaste français est une des principales sources d’inspiration de Punch-drunk love On retrouve aussi son influence dans l’étrangeté du travail qu’effectue Barry. Celui-ci n’est jamais explicité et le peu qu’on en voit ne permet de s’en faire qu’une idée très vague. C’est un des autres lieux d’oppression de Barry. Le personnage est emporté par la cadence infernale du travail, des appels. Il n’a pas une minute à lui ou du moins ne cherche pas à prendre le temps. Le lieu en lui-même est des plus étranges, un simple hangar à proximité d’un garage automobile. Plus mystérieux encore, du moins pour les protagonistes du film, Barry Egan s’efforce d’y venir habillé d’un costume bleu ce qui lui vaut de nombreuses remarques. Le personnage ne le quittera pas de tout le film.

Ce costume bleu est le premier objet qui le relie à Léna. Souvent elle aussi habillée en couleur, les deux protagonistes tranchent visuellement sur leur environnement aux tons neutres et ternes. Son apparition dans le film se fait à la lumière du jour en total contraste avec les lieux clos où Barry aime à s’enfermer pour se sentir en sécurité jusqu’à son bureau fermé dans le hangar. Contrairement aux conventions de la comédie romantique traditionnelle, l’entrée en scène de Lena est des plus anodines. Elle vient déposer sa voiture au garage à côté duquel travaille Barry puis disparaît pendant un long moment. C’est sa détermination à vouloir rencontrer le personnage interprété par Adam Sandler sur lequel elle a craqué par le biais d’une photo qui donne vie à leur relation. Lena parvient à l’inviter à dîner après de nombreuses tergiversations. Les deux protagonistes ont pourtant une même difficulté à communiquer, une même timidité maladive. Que ce soit la photo pour Lena ou le téléphone rose pour Barry, leurs relations sont fantasmées avant d’être réelles. Leur liaison d’abord très maladroite s’épanouit dans deux longues scènes romantiques où les deux personnages marchent côté à côte en silence et finissent par se prendre la main. N’exprimant que difficilement leurs désirs, le téléphone sert un temps d’intermédiaire.

Lena le rappelle à l’accueil de son immeuble pour lui dire qu’elle avait envie de l’embrasser ; Barry, une fois arrivée à Hawaï lui passe un coup de fil et commence à lui poser toutes sortes de questions personnelles. Les deux personnages peinent à trouver les mots justes comme le montre parfaitement leur première nuit passée ensemble. Ce n’est que petit à petit qu’ils se révèlent leurs petits mensonges et leurs crises d’angoisse. Cette mise à nu et la force de leur amour leur donne enfin la force qu’il leur manquait. Barry décide de ne plus se laisser faire et va mettre un terme dans l’Utah à l’histoire de racket qui menaçait l’intégrité physique de Lena. Ce mouvement d’ouverture culmine dans la longue déclaration d’amour que Barry fait à sa nouvelle compagne à la porte de son appartement. Le second objet qui relie les deux personnages est l’harmonium que recueille le personnage interprété par Adam Sandler. Celui-ci participe à une métaphore de la vie et de l’initiation qui court tout au long du film. Ouvert à tous les accidents et à toutes les expérimentations, [I]Punch-drunk love nous rappelle que quelque soit l’instrument dont on est doté au départ, il est toujours possible d’apprendre à en jouer les plus belles des mélodies.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 28 septembre 2004