Artelio

accueil > Cinéma > article




 

Rollerball, de John Mc Tiernan

John MacTiernan, fameux réalisateur de films comme Last action hero, Die Hard, Die Hard 3, Le Treizième guerrier ou Predator est connu pour ses problèmes répétitifs avec les studios qui l’emploient. Ses oeuvres sont très souvent remontées et c’est, d’ailleurs, encore le cas ici avec Rollerball. Pourtant, à la vue du résultat, le film n’a rien perdu de sa rage. L’ensemble est servi par un bon casting d’acteurs qui ont plutôt l’habitude de jouer des seconds rôles. MacTiernan a décidé de règler ses comptes avec Hollywood et offre une réflexion assez intéressante sur sa position d’artiste.


Précédé d’une réputation sulfureuse et d’une distribution catastrophique, il y a peu de chance que Rollerball connaisse un grand succès public. Pourtant, le film, remake de celui de Norman Jewison réalisé en 1975, n’est pas une banale production hollywoodienne. C’est un véritable brulôt politique dénonçant les dérives de la société du spectacle. L’intrigue est simple. Un jeune américain Jonathan Cross (Chris Klein, belle découverte) est contacté par un de ses amis Marcus Ridley (LL Cool J) pour venir participer à un nouveau sport qui vient d’être crée en Asie centrale par l’homme d’affaire Alexi Petrovich (Jean Reno, fidèle à ces derniers rôles américains comme celui de Mission Impossible). Ce dernier cherche à attirer de grandes stars pour assurer la promotion de son "Rollerball".

Jonathan est l’homme qu’il lui faut : beau, jeune, agile et prêt à prendre tous les risques. "Rollerball" est un sport au fonctionnement un peu étrange qui nous est heureusment rapidement expliqué en quelques scènes au début. C’est une sorte de mélange de Hockey et de polo sur une piste fermée. La violence dans certaine limite fait partie du jeu mais du fait de quelques incidents, elle va rapidement prendre une dimension plus inquiètante.

Car les inventeurs de Rollerball se sont rapidement rendus compte de quelque chose. La violence fait vendre. MacTiernan stigmatise toute une dérive de la télévision actuelle. Les sportifs sont devenus de simple produits d’appel pour faire de la publicité et enrichir les actionnaires. L’argent coule à flot tant que le spectacle est assuré sur la piste. Les participants du jeu en profite aussi mais leur intégrité est sérieusement entamé.

Rollerball, heureusement, ne s’arrête pas à ce constat. MacTiernan va filmer les populations pauvres d’Asie centrale qui trouvent dans le sport, une manière d’exprimer dans la légalité la violence sociale qui les entoure. "Rollerball" est une sorte de spectacle cathartique mais aliénant puisqu’il ne fait que renforcer le pouvoir des grands industriels qui dominent déjà la région et cherchent à vendre des produits que le public n’a probablement pas les moyens de se payer. Deux choix de différenciation avec l’original sont particulièrement intéressants. Le premier consiste à ne pas en avoir fait un film futuriste mais contemporaim. Le second est d’avoir déplacé l’action en Asie pour montrer comment le modèle capitaliste américain s’exporte partout dans le monde au prix de problèmes sociaux importants. Rollerball 2002 se veut international, ce qui se ressent fortement au niveau du casting. Jonathan Cross découvre ici un monde qu’il ignorait et qui le dépasse complètement.

MacTiernan évite un des grands dangers qui guettait son film : faire du voyeurisme sous pretexte de le dénoncer. Si Rollerball commence de manière très attrayante, musique rock à fond et grand spectacle dans les rues de San Francisco, l’ensemble change rapidement de ton. Ce premier mouvement enthousiaste correspond à la vision naïve et attrayante qu’a de lui-même du sport Jonathan Cross.

Très vite, celle-ci va être contrariée par le cynisme ambiant. MacTiernan reprend tous les types d’images qui traversent nos sociétés modernes : des écrans télévisés à la vidéosurveillance. Une scène est particulièrement révélatrice de son travail. Jonathan et Ridley sont en fuite de nuit vers la frontière russe. Toute la scène est rendue en caméra infrarouge, c’est-à-dire ici baignée d’une lumière verte. Ce choix introduit le thème de la vidéosurveillance, permet de traiter le tout de manière réaliste puisqu’il n’y a sûrement pas de lumières sur les autoroutes kazakhs mais surtout enlève tout le glamour qui pouvait ressortir de la scène.

Cette séquence décisive est filmée de manière froide et détachée contrairement au "Rollerball". On est plus ici au niveau du spectacle mais d’une réelle mise en danger des deux personnages auxquels on s’est attaché depuis le début. On est complètement sorti du voyeurisme même lorsque les hommes de Petrovich tirent à distance sur la moto des deux héros. Plus le film avance et plus la violence du jeu est ressentie comme malsaine par le spectateur. On s’est trop attaché aux personnages pour accepter de les voir se faire détruire. Mac Tiernan place avant tout son film du côté des vrais artistes.

Et c’est là qu’on ne peut s’empêcher de voir dans Rollerball une mise en abyme de la relation entre MacTiernan et les studios hollywoodiens. Ces derniers aussi cherchent à imposer un divertissement à l’ensemble de la planète suivant des motivations purement financières au mépris des artistes qu’ils utilisent. Le réalisateur est conscient qu’il perd un peu son âme en acceptant de voir son travail déformé, dértourné. Les préviews qui remettent en cause ses choix artistiques ne sont pas si différents de ces capteurs d’audience qui indiquent ce que Rollerball doit ou ne doit pas être. La seule solution ici est la révolte, retourner le système pour soi. C’est ce qu’il exprime parfaitement ici même si la réalité contredit la fiction. En n’assurant pas la promotion du film, le studio montre bien son désaccord avec le contenu de Rollerball. C’est en tout cas une bonne nouvelle pour nous. Le film est d’une rage salutaire.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 12 octobre 2004