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Solaris, de Steven Soderbergh

L’amour à mort

Pour son treizième long métrage, Steven Soderbergh s’attaque à un genre qu’il n’a jamais encore exploré : la science-fiction. Loin de suivre la mode des gros blockbusters à effets spéciaux, le cinéaste a opté avec Solaris pour une fiction dans l’espace entièrement centrée sur l’humain. Il suit en cela l’approche que Brian de Palma avait développé dans Mission to Mars. Comme celui de Jim McConnell avant lui, le voyage de Chris Kelvin vers l’infini le ramènera ainsi vers son épouse décédée. Pour tourner son nouveau long métrage, Steven Soderbergh s’est inspiré aussi bien du roman de Stanislaw Lem que du film d’Andreï Tarkovski.


(JPEG) Le cinéma de Steven Soderbergh a toujours aimé les secondes chances. Depuis A Fleur de peau, le premier remake du cinéaste, en passant par Hors d’atteinte et même Ocean’s eleven, ce thème est devenu une des problématiques centrales de l’œuvre du réalisateur américain. Il s’agit ici pour le psychologue Chris Kelvin (George Clooney, excellent dans un mélange de maîtrise de soi et de détresse) de redonner une chance à son couple grâce au pouvoir ensorcelant de la planète Solaris. Les amants sont unis dès le premier plan du film. Celui-ci présente Chris Kelvin seul dans sa cuisine interpellé par la voix de son épouse. L’aime t’il encore ? On ne l’apprendra qu’un peu plus tard, Rheya (Natascha McElhone, aperçue dans The Truman Show) s’est en fait suicidée, il y a quelques années de cela. Des lors, comment leur amour peut-il survivre ? En faisant le choix de s’attaquer à la science-fiction, Steven Soderbergh n’a nullement renoncé à ses exigences d’un cinéma d’auteur dont l’humain serait la principale préoccupation. Solaris est donc à des années lumières de ce qu’a l’habitude de produire Hollywood. Il n’y a ici aucune explosion, aucun suspense, aucun monstre. Le cinéaste a préféré tourner un film lent, audacieux et envoûtant. Les mouvements de caméras sont fluides, travaillés mis à part dans une scène de dispute tournée caméra à l’épaule. Solaris n’en reste pas moins un vrai film de science-fiction. Le décor futuriste de la station orbitale Prométhée, la musique expérimentale, le voyage dans l’espace, tout nous ramène au genre. (JPEG) Seulement comme l’explique Gibarian (Ulrich Tukur) un des membres de l’équipage du Prométhée : en allant dans l’espace, l’homme cherche moins à rencontrer l’autre qu’un miroir qui lui dirait qui il est. C’est à cette conception que se rattache tout le film. Solaris pousse cette idée très loin en faisant des extraterrestres de simples copies de véritables êtres humains. La planète a le pouvoir de donner vie à des imitations d’être chers de ceux qui s’approchent d’elle. Ainsi, Chris Kelvin à peine débarquée en mission de sauvetage à bord du Prométhée, découvre auprès de lui, une Rheya ressuscitée. Les deux derniers survivants de la station orbitale : Snow (excellent Jeremy Davies) et Gordon (Viola Davis) ont également été confrontés au même phénomène sans qu’on ne voit jamais leur visiteur.

Steven Soderbergh a dû ici simplifier au maximum son histoire et l’environnement des personnages. Le cinéaste ne s’attarde que très peu sur la planète. Seuls quelques plans montrent à la fois son existence et sa mystérieuse évolution. Le décor de la station orbitale quasiment monochromatique va aussi au plus simple. C’est un espace clos strictement fonctionnel. L’important réside alors dans la relation qui se noue entre Chris Kelvin et la nouvelle Rheya. La caméra reste sur les deux comédiens, les cadrant au plus près. Le cinéaste joue ici au maximum de l’expressivité du visage de ses deux interprètes modulée par un savant jeu d’ombres et de lumière. Leur dialogue sur le Prométhée est entrecoupé de nombreux flashbacks éclairant leur histoire commune sur terre. (JPEG) Dès les premières scènes du film, Steven Soderbergh s’est évertué à montrer à quel point le quotidien de Chris Kelvin est devenu terne et dépassionné. La pluie, très présente en fond sonore, ajoute une note de tristesse à cet environnement. Le psychologue est entièrement plongé dans son travail. La souffrance de ses patients lui permet d’occulter la sienne. Il les questionne et les comprend avec une attention qu’il n’a jamais portée à lui-même. Le deuil est encore trop fort, trop présent. Regarder sa relation avec sa compagne qui s’est suicidée serait aussi admettre l’échec. Chris Kelvin n’a jamais pu sauver Rheya de ses moteurs autodestructeurs. Psychologue, il pensait pouvoir l’aider à faire face à ses difficultés liées à une enfance difficile. Rheya raconte ainsi dans une scène en apparence banale que sa mère était folle et qu’elle ne parlait avec sa fille qu’à travers une personnalité qu’elle avait fini par développer une deuxième personnalité pour communiquer avec sa mère, atteinte de troubles mentaux. Chris lui répondra alors qu’elle est tombée sur l’homme qui lui faut. En l’espace de très peu de scènes de complicité entre les deux, Steven Soderbergh arrive à faire passé le côté à la fois passionné et tendre de leur relation à peine naissante puis les nombreuses difficultés auxquelles le couple est confronté. Rheya semble être à l’origine de la plupart d’entre elles. Elle ne veut pas s’engager officiellement avec Chris au point d’avorter sans lui dire qu’elle était enceinte. Le film montre alors que l’amour ne prévient pas tous les malheurs.

(JPEG) Les deux amants ne se comprennent plus et approchent la rupture. Le jour d’une dispute, Chris préfère prendre la fuite. C’est le drame. Tous ces petits malentendus, ces mauvais gestes vaudront une deuxième punition au principal protagoniste. Un doute pèse néanmoins sur ce que le film nous donne à voir. Leur relation semble nous être racontée uniquement du point de vue de Chris. Il y a quelque chose chez Rheya qui échappe ainsi totalement à son compagnon et au spectateur. Sa copie s’en rend elle-même compte sur le Prométhée et décide de mettre à nouveau un terme à sa vie. Solaris rappelle que l’autre n’est jamais qu’une construction qu’on se fait à travers des données que l’on peut avoir.

Il en est également ainsi du personnage de cinéma. Snow ne s’impose à nous comme une copie qu’à la toute fin du film malgré son débit de parole totalement décalé et son abondante gestuelle. La question est alors de savoir si l’on peut réellement aimer une copie, c’est-à-dire quelqu’un a qui l’on nie toute individualité, toute personnalité propre pour la conformer à une certaine image. Cette frontière entre l’humain et le « monstre », l’individu et l’image est particulièrement trouble. Chris Kelvin développe à son tour des comportements autodestructeurs une fois sur Solaris. Le film est l’histoire d’un transfert de névrose. A l’apparition de la première copie de sa compagne, sa première réaction est de la tuer en l’envoyant dans l’espace. Dans un des plans les plus effrayants du film, ses yeux sont complètement assombris comme s’il ne faisait plus parti de l’humanité. La question du sort et du statut des copies est la source de nombreux débats entre les membres de l’équipage. (JPEG) L’humain est naturellement effrayé de ce qu’il ne connaît pas. Gordon propose donc de les éliminer avant de rentrer sur terre mais Solaris a d’autres plans pour eux. Cette nature frileuse des hommes est encore plus forte quand on aborde la religion ou la question de la vie après la mort. Rheya est raillée par les amis de Chris à cause de sa croyance en une force mystique transcendantale qui dépasserait tout ce que l’humain a jusqu’ici imaginé. Solaris met en scène tous les doutes possibles sur l’avenir de l’homme après la mort. Chris Kelvin professe son nihilisme tandis que Gibarian se suicide pour trouver un monde meilleur. Au final, le film propose néanmoins une échappée aux deux personnages C’est le rôle des artistes que de voir plus loin et différemment du commun des mortels. Pour se retrouver réellement, il faut que les deux soient d’égal à égal. Ce n’est que dans la mort que Chris Kelvin rejoint sa compagne. Il devient lui-même une copie comme l’indique la scène où la peau de son doigt se referme immédiatement après avoir été coupée. Soderbergh reste ici fidèle au sombre romantisme du poète américain Dylan Thomas et de son fameux texte « And death shall have no dominion. » Le destin sauve l’amour qui pouvait exister entre Chris et Rheya tout en les perdant tous les deux : “Though they go mad they shall be sane, Though they sink through the sea they shall rise again ; Though lovers be lost love shall not ; And death shall have no dominion.”

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 13 mai 2004