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Son frère, de Patrice Chéreau

A la mort, à la vie

Deux acteurs formidables (Bruno Todeschini et Eric Caravaca), un réalisateur de très grand talent (Patrice Chéreau) et un scénario d’une incroyable justesse sur un sujet difficile, deux frères confrontés à la maladie. Voilà les éléments qui font de Son Frère, Ours d’argent au dernier Festival du Film de Berlin, un très grand film. Produit pour le petit écran (Arte), ce nouveau long-métrage mérite très largement de jouer dans la cour des grands. Tout simplement un des plus beaux films (si ce n’est le plus beau) de ce mois de septembre.


(JPEG) Couché sur un lit d’hôpital, un corps est pris en charge par deux infirmières. Celles-ci s’activent autour de lui, le rasent pour le préparer à l’opération du lendemain. Les gestes sont minutieux. Les deux infirmières prennent soin de ne rien brusquer. Il fait nuit. Sur le lit, Thomas ne bouge pas. Depuis sa rechute et son retour à l’hôpital trois mois plus tôt, son corps n’est plus tout à fait à lui. Le problème de Thomas, c’est les plaquettes. Elles ont décidé de le quitter un jour, on ne sait pas trop pourquoi. On ne sait jamais vraiment pourquoi. Les médecins cherchent. Les maladies ont beau avoir un nom, elles n’en restent pas moins mystérieuses. Du coup, Thomas est en danger. Le moindre coup, le moindre petit accroc et c’est l’hémorragie. La vie vous quitte comme ça, pour rien. Sur son lit d’hôpital, Thomas ne bouge donc pas. Son regard se perd dans le vide. Que peut-il bien se passer dans sa tête ?

Cette question-là, Luc n’en finit pas de se la poser. Luc, c’est le petit frère de Thomas. Il est présent lui aussi ce soir là dans cette chambre d’hôpital. Assis dans un coin de la pièce, il ne dit rien. Il regarde. Un soir de février, Thomas a décidé de lui faire une demande qu’il est difficile de refuser surtout entre frères. Alors qu’ils ne s’étaient pas vus depuis des mois, sûrement des années, l’aîné débarque chez son cadet pour tout lui raconter, la maladie, ce corps qui se détraque sous ses yeux sans qu’il ne puisse rien y faire. Thomas demande ensuite à Luc de l’accompagner à l’hôpital, de vivre les mois à venir auprès de lui. Sent-il que ce sont peut-être les derniers ?

(JPEG) Luc est donc là à ses côtés. Son frère existe d’abord par et autour de ce regard. Luc, homosexuel en pleine santé, qui avait construit sa vie loin de sa famille, se voit offrir d’assister à la déchéance du corps de son frère. Autour de ce premier regard d’autres viennent se mêler, ceux des parents maladroits et désemparés, ne sachant plus que dire sinon des banalités ou des mots qui blessent, ceux du personnel médical plein d’attention mais aussi du détachement de ceux qui se sont résignés, habitués à côtoyer la maladie, celui enfin des compagnons des deux frères compréhensifs et déboussolés. Le regard c’est aussi celui de Chéreau qui a décidé de regarder cette souffrance en face. On suit avec précision toutes les étapes du traitement de Thomas. Comme pour Luc, rien ne doit nous être épargné. Chéreau montre des êtres entiers pris dans leur contradictions, leurs faiblesses qui surpassent par moment leur capacité à aimer. Pour Luc, cette épreuve est à la fois un cadeau et un fardeau. Qu’est-ce qu’un homme peut offrir de plus important à un autre que de partager ses derniers instants ? Qu’y a t’il de plus dur que de voir souffrir ou de devoir se séparer de ceux qui nous sont le plus cher ? Ce regard en tout cas est là. Il permet à Thomas de traverser cette bataille contre le mal qui le travaille de l’intérieur en étant autre chose qu’un simple malade parmi d’autre. Face à Luc, il est beaucoup plus que ça. Un frère.

(JPEG) A côté, les autres malades semblent terriblement seuls. Une femme appelle sans relâche un nom dans la nuit. Un adolescent de dix-neuf ans se promène dans les couloirs de l’hôpital une grande cicatrice remontant du bas de son ventre à sa poitrine. Lui souffre de l’intestin. Les ablations se multiplient sans apporter de solution. Luc écoute sa plainte désespérée, lui offre un peu de réconfort puis continue son chemin. Plus tôt, plus tard, c’est Camille, l’amie à bout de Thomas que Luc tente de réconforter. Ne supportant pas de contempler la lente détérioration de l’état de celui qu’elle a aimé, elle décide d’abandonner, complètement vidée. Ne lui reste plus que la colère.

On ne côtoie pas la déchéance sans s’abîmer. Luc aussi est affecté. Sans qu’il s’en rende forcément compte, l’état de son frère le contamine. La colère, la culpabilité commence à l’habiter. Il ne sait plus bien où il en est. Comment continuer à désirer, à aimer, à vivre quand son frère lui ne peut plus rien espérer ? Plus le film avance, plus les deux frères se rapprochent jusqu’à ce que Luc se rêve lui-même malade à la place de Thomas dans une des plus belles séquences du film. Cette vision vient comme un rappel à l’ordre. Elle souligne tout le mystère de la relation fraternelle. Le même sang coule dans leurs veines mais ils n’en restent pas moins deux êtres singuliers. L’un est homo, l’autre hétéro. L’un est malade, l’autre pas. Leur lien si singulier n’en garde pas moins quelque chose de secret même si Luc doit se résigner peu à peu à voir Thomas partir. (JPEG) Seules quelques très belles scènes où les deux frères se confient sur leur enfance nous font entrevoir la force de ce qui les unit. Même en présence de tiers, ils n’existent plus que l’un pour l’autre comme dans ses très belles scènes au bord de mer comme toute droit sortie de la chanson Sleep de Marianne Faithfull dont l’univers contamine peu à peu celui du film au point d’inspirer littéralement les dernières moments. Sans que les mots soient dits, Luc voit tout, il comprend.

A quoi ça tient la vie ? Sans doute à pas grand chose. C’est pourtant ce pas grand chose qui fait tout le sel de la vie. La narration nous ballade en aller-retour entre février et l’été. Ce lien tenu, d’abord improbable se construit peu à peu sous nos yeux. Au-delà de la relation fraternelle et de la maladie, le film touche à l’essentiel. L’amour, la fraternité, le désir. La mise en scène de Chéreau ne fait que mettre cela en valeur, que célébrer la vie, le mouvement. Le cadre n’arrêtent jamais de bouger, les personnages ne cessent de se regarder, de se serrer les uns contre les autres. Il faut montrer aux gens qu’on les aime pendant qu’il est encore temps. Et si cette histoire d’un homme pouvant mourir à tout moment qui décide de dire à son prochain qui l’aime n’était qu’une simple métaphore de la voie que devrait emprunter chacun de nous ? Au final, Thomas et Luc ont réglé leurs différends et partagé un instant de belle et douloureuse fraternité. Tout le reste n’est que mystère.

It is safe to sleep alone In a place no one knows And to seek life under stones In a place water flows.

It is best to find in sleep The missing pieces that you lost Best that you refuse to weep Ash to ash, dust to dust.

It is strange to sleep alone In a place no one knows Strange to shelter under stones In a place water flows.

It is safe to walk with me Where you can read the sky and stars, Safe to walk upon the sea In my sleep we can go far.

It is safe to sleep alone In a place no one knows And to shelter under stones In a place water flows.

It is strange to sleep alone In a place no one goes, Strange to seek life under stones. In my sleep no one knows.

Sleep, Marianne Faithfull

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 13 mai 2004