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Spider-man

Acné et super-pouvoirs

Par un glissement de langage, le blockbuster est un terme qui s’accole aujourd’hui plus ou moins à toute superproduction. Mais à l’origine il désigne plus spécifiquement les films hollywoodiens marketés pour satisfaire une cible adolescente plutôt masculine, autrement dit des films pop-corn assujettis à une formule simpliste se résumant à des effets spéciaux coûteux et de la grosse action. Le Seigneur des Anneaux, superproduction s’il en est, ne saurait être qualifié de blockbuster au sens strict par exemple, l’esprit présidant à sa conception étant différent. Par contre, Spider-man a sans conteste tous les attributs d’un blockbuster traditionnel. Pas de quoi se faire vibrer la glotte de pâmoison donc.


Certes Sam Raimi a su faire un film de divertissement qui se démarque sympathiquement de la bouillie hollywoodienne habituelle. Rien que pour cela, nous lui en sommes reconnaissant. Mais Spider-man n’est pas le film ultime des super-héros. Si nous délaissons Incassable (le plus indirect et théorique), X-Men (le plus politique), et Spawn ou Punisher (les plus ratés), c’est assurément du côté de Tim Burton qu’il nous faut chercher un équivalent.

Comme Raimi, Burton a démarré dans les années 80 et tous deux ont pour collaborateur privilégié le compositeur Danny Elfman. Le lien le plus évident qu’on pourrait tisser entre Batman et Spider-man réside dans la similitude entre leurs méchants (là le Joker, ici le Bouffon Vert), tous deux empêtrés dans un grotesque très appauvrissant. Et si Willem Dafoe cabotine moins que Jack Nicholson, son costume (surtout son masque) n’en est pas moins très moche. Une adaptation de comics avec un super-vilain qui craint, ça a de quoi tempérer direct les ardeurs (Raimi devrait peut-être aller revoir son petit Hitchcock illustré).

(JPEG)Dans Batman II (s’il y a un film ultime des super-héros, le voici !), Burton avait su brouiller la démarcation entre méchants et héros pour les traiter sur un même plan. En en faisant des inadaptés, il dépassait la simple lutte du bien et du mal pour dépeindre celle, désespérée et inutile, de monstres névrosés profondément humains (au contraire Spider-man est ici très clairement présenté comme un justicier indispensable, et le Bouffon Vert comme une machine à tuer sans états d’âme). Les affrontements se paraient d’une cruauté et d’une opacité passionnantes pas leur refus du manichéisme primaire, ce qui n’est hélas pas le cas ici, où la deuxième moitié du film se coule dans le moule confortable du blockbuster classique avec explosions et grosse castagne aseptisée. Ce n’est pas ennuyeux, mais c’est franchement assez limité. Et n’était le traitement très réussi de la découverte par Spidey de ses pouvoirs, le film serait carrément moyen.

Sur ce point, le cinéaste, lui-même grand amateur de comic books, parvient de manière remarquable à capturer l’essence du genre tout en la dépassant subtilement. Il offre dans le même temps de quoi satisfaire le fantasme des lecteurs de ce type de bande-dessinée tout en les confrontant avec finesse à sa limite, et à la nécessité de le dépasser. Non sans paradoxe, il exalte le comics, comme il enterre son fondement. C’est à dire qu’en dépeignant, au travers d’effets humoristiques sur le quotidien, la jouissive transformation d’un Monsieur-tout-le-monde (judicieux choix d’un acteur au visage juvénile qui offre un miroir idéal aux lecteurs de comics) en surhomme, Sam Raimi prolonge cinématographiquement l’exultation de la lecture, liée à la projection fantasmatique dans un personnage aux supers-pouvoirs libérateurs.

Mais en insistant sur le fait que ces pouvoirs impliquent de grandes responsabilités, Raimi souligne très nettement ce vers quoi ils tendent : une entrée dans l’âge adulte (Peter Parker fait son premier vrai choix adulte à la fin du film, en repoussant Marie Jane).

Autrement dit, le film peut se lire comme une invitation cryptée à abandonner l’émancipation par procuration d’un corps mal aimé (du fait des bouleversements de l’adolescence), pour enfin s’accepter tel qu’on est. Pour Raimi, si le comics est sans conteste fun, il ne doit pas pour autant être le support d’une recherche vaine, et donc puérile, d’arrachement à sa condition.

(JPEG)L’apprentissage des supers-pouvoirs comme métaphore du passage de l’adolescence à l’âge adulte se trouve renforcée par quelques exquis indices visuels, comme lorsque Peter Parker lance maladroitement ses toiles pour la première fois (comment ne pas y voir les éjaculations incontrôlés du corps à peine pubère ?! D’autant plus qu’éjaculer, dans son acception rare signifie très exactement « projeter avec force un liquide sécrété par l’organisme », dixit Le Petit Robert).

Si Raimi mène ainsi un réflexion personnelle souterraine sur le genre, il n’en est pas moins un peu trop fidèle à la bande-dessinée d’origine. En voulant par exemple préserver la gestuelle de son héros, le cinéaste est à deux doigts de se fourvoyer. Les poses très graphiques de l’Homme-araignée s’accommodent moyennement du mouvement, rendant les scènes d’animation infographiques brouillonnes et trop artificielles. Enfin, contrairement à Batman, Spider-man n’est pas un film clôt sur lui-même. Les lignes de tensions ici mises en place pour la suite laissent entrevoir des situations cornéliennes assez prometteuses. Espérons que Sam Raimi, d’ores et déjà aux manettes de l’épisode suivant, saura suivre l’exemple de Tim Burton avec ses deux Batman ; passer du blockbuster sympa au chef d’oeuvre du genre.

par Alaric P.
Article mis en ligne le 20 avril 2004