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Un long dimanche de fiançailles

Sous le pavé, les bonnes intentions

Avec Un long dimanche de fiançailles, Jean-Pierre Jeunet emprunte à nouveau le chemin balisé des amours infantiles, et désamorce les jeux de guerre par de petits jeux fantaisistes. On attendait mieux que cette interminable saga, contée sans flamme ni passion.


(JPEG)Il faut le reconnaître : il existe un style Jean-Pierre Jeunet, fait de petites touches intimistes et de grands sentiments. Bien avant le séisme Amélie Poulain, qui a plus fait pour les sociologues en panne d’événements fédérateurs que pour le cinéma, il traçait une drôle de voie, à mi-chemin entre le réalisme poétique à la Marcel Carné et le lyrisme d’inspiration publicitaire à la Luc Besson, d’abord en duo avec l’allumé Marc Caro, puis en solitaire. Son nouveau projet, l’adaptation d’un roman de Sébastien Japrisot, avait de quoi nous intriguer : le cadre (la Première Guerre mondiale, vue à hauteur de tranchée) devait s’éloigner radicalement des pérégrinations urbaines et chichiteuses de son précédent opus. Las ! De cette interminable enquête sur la disparition d’une bleusaille, on ne retient qu’un éparpillement narratif et une incapacité à assumer jusqu’au bout la crudité visuelle qu’il met en scène.

(JPEG)Jeunet est, avant tout, un dessinateur et un coloriste. La saleté et la brutalité du conflit sont palpables, et les personnages, efficacement brossés en deux répliques, semblent tout droit sortis d’une bande dessinée. Son film fourmille de détails, de seconds couteaux et de mini-idées (les dérapages à répétition du facteur) qui instaurent une familiarité immédiate. Mais film et BD sont deux supports distincts, dont la dynamique diffère grandement. Ici, aucun mouvement épique ne vient transcender cette succession de vignettes, ne contamine le film, qui se perd alors dans une lassante succession de points de vue (la même scène vue par...) et condamne le scénario à un sur-place prévisible - personne ne doute un seul instant de l’issue heureuse du film. Par ailleurs, les facilités que le film s’offre désamorcent régulièrement une hypothétique tension, un suspense potentiel. Aucun personnage, même le plus salaud (comme le général joué par Jean-Claude Dreyfus), n’est vraiment amené à faire la preuve de sa nature, de ses intentions. Aucune scène de guerre ne parvient non plus à imprimer sa tension aux scènes qui lui succèdent. Et à aucun moment Jeunet ne cherche à nous faire sentir l’attente (de son héroïne, des soldats), la durée exacte des choses, ni leur nature atroce. En témoigne le plan de l’exécution de la prostituée meurtrière, tout à fait superflu et dont le travail sur l’image l’apparente à un gag sans conséquence.

Le film s’ébroue alors dans une autosatisfaction visuelle qui l’accule dramatiquement à une logique de sketches. Les zooms vulgaires, les "tronches" d’acteurs (Ticky Holgado, Jean-Paul Rouve, etc.) et autres chromos sépia fatigants, spécialités de Jeunet, évacuent l’horreur du contexte historique. Chaque rencontre de l’héroïne avec un nouveau personnage donne l’occasion à celui-ci de faire son petit numéro sans que jamais ces prestations successives et isolées ne fassent corps, ne dessinent (ce serait une hypothèse excitante) une carte de la France de l’époque - en dépit des caractérisations faciles des personnages (le Corse, l’homme à la main de bois, le chapardeur). Le film ne donne à voir qu’une France fantasmée où, par la grâce du numérique, les charniers et les champs de blé ne seraient pas amenés à voisiner.

(JPEG)Certes, Jeunet ne prétend pas jouer la carte d’un réalisme tragique, plutôt celle d’un équilibre entre l’horreur des combats et la pureté d’un amour inentamé. Les intentions sont louables, à défaut d’être inédites. Mais de bonnes intentions n’ont jamais suffi à faire un film. Ce dernier finit ainsi par se retrouver le cul entre deux chaises, jonglant en permanence entre les réminiscences de l’aventure Amélie Poulain et l’évocation sans fard du quotidien des tranchées : à la fois parasité par le fétichisme (lettre à décoder, phrases ou objets-souvenirs), les mots d’auteur franchement limite et les mini-superstitions (les comptes à rebours synonymes d’espoir) de son héroïne, et sincèrement désireux d’aborder avec une imagerie très crue le conflit de 14-18.

Ce retour en force de l’académisme dans le cinéma français, dont Jean-Pierre Jeunet est devenu (malgré lui ?) l’une des têtes pensantes, aura tout de même réussi à renverser la logique initiale du mélodrame : alors que les héroïnes de mélo s’évadaient d’un quotidien étriqué par la découverte d’un amour délivré de l’emprise du présent, du poids du social et des conventions, l’héroïne de Jeunet retrouve espoir et absolu à travers l’attachement à de petits symboles quotidiens, un passé idéalisé et l’évocation un peu rance du bon fond de la nature humaine. S’il faut voir dans cette profession de foi l’avenir d’un cinéma français désormais peu enclin au risque, le programme s’annonce bien triste. Les intentions n’étaient peut-être pas si bonnes, après tout...


Sur le mélodrame, vous pouvez consulter cet article.

par Guilhem Cottet
Article mis en ligne le 1er novembre 2004