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Entretien avec Sergent Garcia

Interview d’un équilibriste de la sauce piquante

La musique de Sergent Garcia, c’est le cocktail parfait entre un sens certain de la fiesta, une constante innovation musicale et l’envie de pointer du doigt ce qui cloche, dans le vaste monde comme au coin de la rue. Après une tournée presque ininterrompue de quatre ans en compagnie de ses musiciens, les Locos del Barrio, il travaille aujourd’hui à son nouvel album. Cela ne l’empêche pas de répondre présent régulièrement pour soutenir petites et grandes causes : il a ainsi chanté au rassemblement contre la double peine au Zénith le 26 octobre, aux côtés de La Tordue. On le retrouvera le 8 décembre à la Flèche d’Or, pour un concert de soutien à l’association France-Amérique latine, dont il est le parrain, puis le 15 décembre au Café de la Danse, afin de récolter des fonds pour la tournée des Tamerantong.


On qualifie souvent ta musique de musique métissée. Quels sont les ingrédients de ce métissage ?

Toutes les musiques sont métissées ; la musique pure, ça n’existe pas... Simplement, il y a un mélange qui m’intéresse particulièrement : celui né des cultures latine et africaine, transposées à Puerto Rico et à Cuba. Cette musique est ensuite passée par New York, s’est mélangée avec le jazz, et ça a donné la "salsa", car c’est à New York que le terme est né. Ma musique, c’est un pont entre la Jamaïque et Cuba, le tout vu par un musicien espagnol qui vit en France, qui a grandi nourri de hip-hop, de funk, de reggae... Donc en effet, on peut parler de métissage !

D’où te vient ce goût pour les mélanges ?

Je suis d’une famille très cosmopolite : de mère française et de père espagnol, j’ai de la famille africaine, j’ai toujours vécu dans des quartiers à population "mélangée"... Aujourd’hui on a aussi un accès plus facile à d’autres cultures, c’est le bon côté de la mondialisation... On peut avoir une vision moins fragmentée du monde, et la musique suit le mouvement.

Et comment fait-on pour que la "sauce" prenne, pour que le mélange ne soit pas raté ?

Le principe, c’est que toutes les musiques que j’utilise sont des musiques faites pour faire danser, des musiques populaires... Et mon but, c’est de retrouver cet esprit. Sinon, c’est raté ! Cela suppose de trouver une combinaison de rythmes qui reste cohérente. Or la racine commune de toutes ces musiques, c’est l’Afrique, c’est le rythme. Il s’agit donc d’aller à la recherche de cette essence... C’est un peu comme un cuisinier qui fait sa sauce : il essaie plein de mélanges, et parfois ça marche, parfois pas...

Quel lien fais-tu entre ta musique et tes prises de position ?

Mes prises de position, c’est quelque chose de plus personnel. Ça n’a pas forcément de rapport avec la musique. Simplement, je me sers de mes armes, et la musique, c’est plus facile pour moi que d’écrire un bouquin... Je ne me prétends pas homme politique, mais je suis un peu un "chroniqueur de quartier", comme peuvent l’être les griots. Ce n’est pas parce que j’ai fait de la musique que je me suis engagé. Mais c’est vrai aussi qu’il y a des groupes qui m’ont fait prendre conscience de certaines choses.

Lesquels par exemple ?

Il y a les Clash, Bob Marley, Peter Tosh, Bob Dylan, Leonard Cohen, ou même des rappeurs... Depuis des décennies, la musique a accompagné tous les grands mouvements sociaux. Je pense même que parfois, elle a pu influencer l’évolution des idées politiques.

Mais n’as-tu pas peur de tomber dans le cliché de la chanson revendicative ?

Certaines de mes chansons ont une portée politique, mais j’écris aussi des chansons plus festives, des chansons d’amour. J’essaie de ne pas tomber dans le discours politique ; je m’intéresse à mes contemporains, tout simplement. Ma musique étant en elle-même un métissage, un message d’ouverture sur les autres, c’est presque naturel que je me retrouve mêlé à des mouvements politiques ou sociaux.

En même temps tu as participé à des choses très différentes : des initiatives de quartier, comme les Tamerantong, et des causes plus générales, comme Amnesty, Attac, etc. Quel en est le dénominateur commun ?

La lutte contre l’injustice, tout simplement. Même si on n’a pas le pouvoir de changer intégralement la société, en tant que citoyen, en tant qu’artiste, en tant qu’être humain, je me dois de faire des choses à petite échelle pour faire progresser le schmilblick. Ça peut même être de toutes petites choses. Parfois, ici l’été, on sort les tambours et on fait la rumba dans la rue. C’est déjà un acte révolutionnaire, quand les hommes politiques veulent te faire croire que la première insécurité, c’est le bruit et les jeunes dans la rue...

Quelles limites te fixes-tu ?

Qu’on n’utilise pas les musiciens juste pour rameuter des gens dans les meetings. D’un autre côté, c’est bien aussi que la musique attire des gens qui ne seraient pas venus autrement, leur fasse découvrir par exemple ce qu’est la double peine... C’est un moyen de ne pas s’adresser seulement aux convaincus, ce qui est souvent un des gros problèmes des mouvements dits "alternatifs". D’autant que ce sont souvent des gens concernés par le problème qui ne se sentent pas intéressés au départ.


Bruno Garcia, alias El Sargento, en quelques dates...

 1964 : naissance en Savoie
 1969 : départ d’Espagne, vient vivre en France, en région parisienne.
 1978 : premier concert, à la MJC de Vincennes
 1982 : part vivre deux ans à Barcelone
 Années 80 et 90 : participe à plusieurs groupes de rock et de punk, avant de se faire connaître avec les Ludwig Von 88.
 1997 : virage du salsamuffin, sortie de l’album Viva el Sargento, enregistré et réalisé seul.
 1999 : deuxième album, Un Poquito Quema’o
 2001 : troisième album, Sin Fronteras

par Tistou
Article mis en ligne le 5 décembre 2002