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Paris Concert, de Keith Jarrett : et la méta-musique fut...

Keith Jarrett. Pianiste célébrissime. Pour une raison simple : son Concert à Cologne est désormais unanimement reconnu. A tel point que même les publicitaires s’en servent comme fond sonore... Mais que reste-t-il au jazz ? L’essentiel... et ce Paris Concert constitue à lui tout seul une expérience musicale riche, puissante et féconde.


Comme beaucoup, j’en vins à découvrir Jarrett par son Concert à Cologne. A l’esprit de longues plages musicales, improvisées, et surtout, surtout, la voix du pianiste s’accompagnant. La voix du pianiste ressentant sa propre musique, ou comment sa musique pouvait le posséder. Longtemps Jarrett se réduisit à ce concert. Et puis un jour, je découvris par hasard qu’il avait en fait trois "visages" :

- un visage où il enregistre sa musique, la compose, la peaufine en studio, en solo ou avec un ensemble : Facing you ou Arbour Zena par exemple,
- celui qu’il dévoile dans ses concerts solo : Cologne, Paris, Vienne...
- enfin celui de son trio de jazz plus classique et traditionnel.

(JPEG) Jarrett [1]. L’homme qui enregistra certains disques de classiques. L’homme qui après Monk, Hancock et Evans devait façonner son instrument fortissimo. Piano. Et il explore pleinement les ressources de celui-ci en concert. Lorsqu’il est seul face à lui. Et la composition musicale se déroulera pendant trois plages. La première s’étendant sur près de 40 minutes. Elle s’intitule "October 17, 1988", jour de l’enregistrement.

(JPEG) Une musique de circonstance donc. Impressionniste presque. Chaque fois que j’écoute cet album, je ne vois pas le temps passer. A croire qu’il s’évanouit sitôt que les premières notes courent sur le clavier. Dès qu’elles apparaissent, il me semble que le monde se dissipe. Une ambiance lourde, sans pour autant être oppressante, incitant au repli. Au retour. Sur soi. Des choses. Pour se concentrer. Sur quoi ?

Musique étrange. Inquiétante. Chaque fois, je ne peux m’empêcher de songer à ces mots d’Augustin : "cor nostrum inquietum est donec in Te requiescat" [2]. Cette musique a ceci de religieux qu’elle nous interpelle tous en nous invitant au silence, à notre rapport au monde, au temps. Qui passe et fuit sans que nous nous en rendions compte à l’écoute. De Musique.

Voilà pourquoi cet album est pour moi métaphysique : s’élève de ces notes l’angoisse. Comment vous dire ce que je ressens alors que petit à petit, elle monte, féroce et cruelle, inquisitrice pour nous demander à tous des comptes ? Fougueuse, elle m’interpelle, comme tous, elle vous interpellera tôt ou tard. Fière et hautaine, méprisant ce que nous sommes - mortels.

Et la musique, elle, de poursuivre. A nous de savoir l’entendre. De savoir prêter l’oreille. De nous confier à elle. Voilà pourquoi cette musique au départ se refuse. Car elle se mérite. Non pas par pur plaisir d’un hermétisme aussi vain que futile, (JPEG) mais bel et bien parce qu’elle nous fait percevoir "quelque chose" de beaucoup plus essentiel, quelque chose de notre condition. Ce qui fait de cette plage un subtil mystère éleusien. Auquel chacun de nous est invité à répondre. Auquel chacun peut apporter une réponse qui lui soit propre.

De tous les concerts enregistrés que j’ai pu entendre de Jarrett, seul celui de Lausanne me fit un tel effet. La musique comme prisme. Le piano comme révélateur. Rarement une telle intensité fut pour moi atteinte musicalement. Tout est dans l’épure. D’un geste. Traçant. L’esquisse. De nos vies. Musiké, sans toi, nous serions une erreur.

par Hermes
Article mis en ligne le 26 mars 2004

[1] Il est intéressant de voir que Jarrett enregistra quasiment l’intégralité de ses albums pour le label allemand ECM

[2] cf. St. Augustin, Confessions, "Notre coeur est in-quiet, jusqu’à ce qu’il trouve le repos en Toi".

Deux sites non officiels :
- http://www.keithjarrett.org/
- http://www.keithjarrett.it/