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St Germain ou l’art de l’éclectisme

Timide et introverti, Ludovic Navarre, alias St Germain, ressemble plus à un jazzman sorti d’une cave obscure qu’au roi de la branchitude Paris-New York-Londres. Pourtant, son talent éclectique séduit aussi bien les clubs selects que le plus grand nombre...


Véritable alchimiste de la deep house aux consonances jazzy, St Germain a su remettre l’acoustique au goût du jour, et ce grâce à sa maîtrise des machines. La recette est simple, mais les ingrédients sont savamment dosés : un beat syncopé, quelques sons aériens, des voix samplées des plus grands bluesmen US, un collectif de musiciens au talent d’improvisation certain, le tout orchestré par un passionné d’électro et de musiques afro-américaines. Car St Germain est avant tout un collectif dont Ludovic Navarre est le maître de cérémonie. Sa troupe, constituée de Pascal Ohsé à la trompette, Edouard Labor à la flûte et au saxo, Alexandre Destrez aux claviers, et Edmond Carneiro aux percussions, n’a pas le même parcours que cet admirateur des DJs de Chicago. De Sub System à Tourist, Navarre a énormément évolué, passant de la hard house ténébreuse au jazz festif via la deep music.

Né en 1973 dans une banlieue tranquille de Paris qui deviendra son nom de scène, Ludovic Navarre n’est pas destiné à la musique. Il aime les ordinateurs et John Lee Hooker, mais préfère le sport, surtout la voile et la glisse. C’est un accident qui, en le mettant dans le plâtre, le poussera à faire de plus en plus de bidouillage avec ses machines, jusqu’à l’acquisition de son 1er gros matériel à 17 ans. C’est là qu’il commence à s’intéresser à la scène électronique de Chicago, où une boîte de nuit, le Warehouse, donnera son nom à un mouvement musical novateur : la house. Ludovic est alors fasciné par les Originators (Jeff Mills, Franky Knuckles, Lil’Louis Vega, Kenny "Dope" Gonzales, David Morales, DJ Pierre...) qui distillent de la techno industrielle à Detroit, du son garage à New York et de la house à Chicago au beau milieu des années 80.

A 18 ans, il sort son 1er maxi sous le nom de Sub System avec un de ses copains (Guy Rabiller), et impose un beat house qui contraste avec les productions à 150 bpm du moment. En 92, grâce à un DJ de Radio Maxximum, il fait la connaissance de Eric Morand, président de la Fnac Music Division, qui le fait signer sous le pseudo de Deepside. Il enchaîne alors les maxis sous le pseudo, dont Good for me et Disco inferno avec Laurent Garnier et Shazz sous le nom L’n’S. Le pseudo St Germain apparaît en 1993 sur un EP appelé Frenchtrax. Ce pseudo a été choisi en référence à la fois à son lieu de naissance et au quartier célèbre où se situent les plus grands clubs de jazz parisiens, mais c’est aussi le nom d’un courtisan excentrique de Louis XV qui prétendait être âgé de plusieurs centaines d’années.

Tout aussi original, St Germain s’éloigne de plus en plus de la techno pure pour explorer le blues, le jazz, la soul et autres sonorités afro-américaines. Ludovic hésite alors à arrêter la musique, excédé par la vague médiatique sur laquelle surfait la dance commerciale, avec ses bpm cacophoniques et ses claviers dignes de Mario Bros. Heureusement (pour nous), les Masters at work et Todd Terry lui font part de leur admiration pour sa musique lors d’un voyage à New York. St Germain décide alors de tenter sa chance en sortant un album où il pourrait faire exactement ce qui lui plaît et se lance à la recherche de musiciens pour les associer à sa souris d’ordi. En 94, il signe son 1er EP chez Fcom, le label de Laurent Garnier, puis son 1er album Boulevard en 1995. Là, c’est la consécration : 200.000 albums vendus et nomination aux MTV Dance Music Awards à Londres.

St Germain devient alors une référence musicale, un producteur virtuose qui force l’admiration et l’initiateur d’un nouveau style : l’électro-jazz. Il fait partie des leaders de ce que les Anglais appellent la "French touch". Avant de se transformer en instrument de galvanisation nationale, ce terme faisait référence aux Français ayant réussi à sortir l’électro de ses ghettos (l’underground et l’industrie marketing) pour en faire un style musical reconnu et respecté : Laurent Garnier, De Crécy, Daft Punk, etc. Mais Ludovic se refuse à suivre la mode des DJs français spécialistes de la house filtrée pour continuer son chemin initiatique vers les musiques noires américaines. En cours de route, il sort From Detroit to St Germain, un album retrospective qui révèle entre autres son talent à mêler la techno à la salsa, mais ses rapports se dégradent avec Fcom, un label électro qui ne peut plus satisfaire ses aspirations acoustiques et scéniques. Car, il faut le dire, peu d’artistes issus de la techno peuvent rivaliser avec les performances de St Germain sur scène : planqué derrière un énorme pupitre aux milles câbles, Ludovic laisse le collectif St Germain improviser sur ses kicks bien sentis et ses ambiances deep. Guitare, saxophone, flûte traversière, trompette, claviers, percussions, batterie... toute cette acoustique s’imprime parfaitement dans la house festive de Ludovic pour le plus grand plaisir de l’auditoire.

Il quitte donc Fcom et sort en 2000 son nouvel album Tourist chez Blue Note Records, le mythique label de jazz qui a compté parmi ses rangs Louis Armstrong, Stan Getz, Sidney Bechet, Nina Simone, Franck Sinatra, Ella Fitzgerald, Miles Davis et Duke Ellington pour les plus connus... Seul Michel Petrucciani avait réussi l’exploit de signer avant lui avec ce temple du jazz. Il a alors définitivement quitté la "French touch" pour rentrer dans l’Olympe de la musique afro-américaine.

C’est ce parcours d’un éclectisme exceptionnel qui fait de St Germain un musicien hors-pair et un artiste mondialement reconnu. Très peu d’artistes français peuvent mettre tout le monde d’accord à ce point et parvenir à une telle alchimie d’électro et d’acoustique, de modernité et de racines, d’innovation et de classique.


Lien :

Blue Note Records(en français).

par Bantou
Article mis en ligne le 12 mars 2002