Artelio

accueil > dossier > Le mythe retravaillé > article




 

La matière de la Guerre de Troie, de l’Iliade à Troy

Le duel d’Achille et d’Hector

Moment de bravoure du film, ainsi que de l’Iliade, dont il constitue l’apex, l’affrontement entre les deux champions mérite une analyse séparée. Spectaculaire affrontement, cet instant est représenté sur plusieurs affiches du film, ce qui prouve bien que, dans la mémoire collective, il constitue l’un des moments clefs de la Guerre de Troie.


D’emblée, un problème majeur se pose : comment introduire le duel ? Dans l’Iliade, c’est le moment où Hector doute. Le champion troyen, que tous rendent l’égal d’Achille, a vu son rival massacrer ses frères et alliés tout au long de la journée avec une ardeur extraordinaire. Il comprend que sa supériorité dans la mêlée n’était due qu’à l’absence de l’Achéen. Et pourtant il brûle de l’affronter. C’est pourquoi il demeure en arrière des siens quand tous refluent derrière les portes Scées, chassés par le bras du péléide en colère. Hector fait face, donc, puis de nouveau ébranlé, il prend la fuite et contourne la ville. Il faut un stratagème d’Athéna pour lui rendre l’ardeur d’affronter Achille. La déesse prend en effet les traits de Deiphobe, autre fils de Priam, pour convaincre Hector de faire face à ses côtés. Par cette manoeuvre, elle jette Hector en pâture à son émule.

Patrocle contre Hector, prélude.

Il est intéressant de mettre en parallèle ce passage avec celui de la mort de Patrocle. Dans l’Iliade, contrairement à la légende, Hector n’a jamais cru affronter Achille. D’ailleurs, même revêtu des armes de son ami, Patrocle n’est pas véritablement déguisé, ni ne se sert de son apparence pour faire fuir les Troyens : il trucide, comme il sait le faire, car il est l’un des Myrmidons. Cependant, face à Hector, il est victime d’Apollon. Celui-ci le frappe de la paume de sa main, ce qui le fait chanceller, et fait chuter de ses mains et de ses épaules sa garbe d’armes, l’exposant aux coups d’Hector. Il n’y a pas véritablement de combat. Comme dans l’affrontement entre Hector et Achille, l’intervention divine vient brouiller les perceptions de celui qui va mourir. Certes, de manière bien différente, puisque Patrocle est mis à terre plus par Apollon que par Hector. Cependant, le lien entre intervention des immortels, et perceptions que les mortels ont du monde, mérite d’être souligné.

(JPEG)

Revient-il dans le film ? D’une certaine manière oui, puisque sous les armes d’Achille, Patrocle parvient à abuser les deux camps, et à renverser la bataille par sa seule apparition. La version retenue ici est conforme à la version du mythe qui veut que Patrocle ait utilisé les armes d’Achille pour sauver les nefs achéennes. Mais trop faible pour porter la lourde lance de frêne du Pélion de son ami, il aurait ainsi été dévoilé à Hector. La version de l’Iliade est différente, puisque Patrocle se montre tel qu’il est, bien que sous les armes d’Achille. On peut regretter que le film n’ait pas repris le passage où Achille confie à Patrocle ses armes, et lui donne la permission de conduire les Myrmidons au combat. Il lui dit alors de se contenter de les repousser loin des nefs, et d’éviter d’affronter Hector. Oublieux de ce conseil, Patrocle est gagné par l’orgueil de ses premiers succès. Il va donc défier Hector. En cela, il cherche à prendre la place de son ami, véritable héros, et se prend pour celui dont il a revêtu les armes. Jouet des illusions de son propre orgueil, il est envahit par l’hubris (même s’il ne défie par les dieux, il se place dans une position qui est supérieure à la sienne, il sort de son registre, et pour cela appelle donc contre lui un châtiment). L’intervention d’Apollon est donc à la fois le bras de l’immortel qui soutient Hector, son favori, et le bras divin qui châtie l’orgueilleux. La matière du film est infiniement moins riche. Patrocle est tué par Hector, qui se rend alors compte que ce n’était pas Achille, mais un adolescent. Dépité, il abandonne alors le combat. Ce moment, on peut s’en féliciter, est le seul du film où la force et la loi des armes ne régit pas la bataille, et où se manifeste la grandeur d’âme des champions. On peut en revanche déplorer que le moment de bravoure où les Achéens forment un rempart de boucliers devant le cadavre de Patrocle n’ait pas été représenté. Alors qu’il est dépouillé de ses armes, Patrocle allait devenir un trophée pour les Troyens. A la fois pour le jeune homme, et pour Achille qui les boude, les héros Achéens se battent de toutes leurs forces contre Hector et les siens dans une mêlée furieuse. Celle-ci ne prend fin que vers le soir, lorsque Achille lui-même sort de sa retraite, et par son seul cri de guerre fait reculer l’armée de Troie toute entière. On peut dire d’un tel passage qu’il a de la gueule, ce dont le film Troy ne peut se targuer, par manque d’ambition.

De la bouderie d’Achille

A travers la fameuse colère d’Achille, on peut entendre à la fois son retrait du combat suite à l’humiliation que lui impose Agamemenon, et son désir de venger Patrocle. Son retrait du combat peut s’assimiler à une bouderie, au caprice d’un homme privé de la femme qu’il aime. Il s’agit de fait d’une histoire d’honneur bien plus que d’une histoire de femme. Agamemnon et Achille se comportent de la même manière : ni l’un, ni l’autre ne veut perdre la face. Le premier convient qu’il doit rendre Chryséis, mais ne supporte pas de rester sans prise de choix, tandis que le second n’entend pas céder sa part. Troy , qui rend Briséis à Achille bien avant la mort de Patrocle, permet de mettre en lumière cette affaire d’honneur. Achille, même s’il a récupéré sa captive, refuse toujours de combattre pour les intérêts des Atrides. Dans l’Iliade, le passage où Achille implore sa mère de lui donner revanche, est particulièrement explicite de cet état d’esprit. Dans Troy, même s’il s’agit d’honneur, la question du retrait d’Achille reste bien moins encadrée. Achille revêt ses armes pour assister à la bataille, posture qui ne convient pas à l’Achille boudeur, qui se désintéresse de la bataille. L’Achille du film donne l’impression d’un enfant qui s’est exclu d’un jeu par caprice, et qui n’attend que l’occasion d’y retourner : il suffit de le voir attentif aux phases de la bataille, occupé à les commenter, pour comprendre qu’il n’est pas sorti du conflit. Dès lors, on comprend mal pourquoi, lors de l’attaque des nefs, il ne reprend pas les armes, car le prétexte lui est fourni. Il semble une figure indécise et versatile. Dans l’Iliade, Achille se retire avec toute la superbe d’un héros : il le fait totalement, et attend que les immortels lui octroient son heure, conformément à ce que sa mère à plaidé pour lui aux genoux de Zeus. Mais lorsqu’il apprend la mort de Patrocle, sa colère est si grande qu’elle surpasse ce qui faisait obstacle à son retour au combat : son désir de vengence devient plus grand que l’importance de son honneur. D’ailleurs, cette soif de sang est particulièrement manifeste au cours de la journée du retour d’Achille dans la mêlée, car il fait la plus grande moisson d’ennemis qu’il soit donnée de voir dans toute l’épopée. Il est si ardent à massacrer que le fleuve lui-même lui en fait le repproche et se retourne contre lui, afin de préserver son cours du grand nombre de cadavres qu’il y jete ! Il manque à l’Achille de Troy cette dimension qui transcende l’homme. Achille est un héros, au sens strict, c’est à dire le fils d’un mortel et d’une immortelle. Même si d’autres, dans la mêlée, ont cette qualité, il est le seul à véhiculer avec lui l’aura des Persée, Héraclès, Jason et autre Thésée. Il représente les âges d’hier, où le guerrier par la force de son bras ébranle l’équilibre du monde. Il faut souligner que, au travers de la relation entre Agamemnon et Achille, Troy met bien en valeur cet aspect d’Achille. Il est un chien fou qui ne vit que pour les batailles et pour la gloire, tandis qu’Agamemnon est un madré politique qui construit ce qu’on pourrait qualifier d’Etat au sens moderne du terme (et donc parfaitement anachronique dans un film qui se déroule à l’âge de Bronze, mais qui ne pose pas de problème de cohérence dans la symbolique du film). Cependant, Troy est de nouveau léger face à l’Iliade. Achille y est un chien fou, mais qui garde la queue basse. On l’a vu, sa bouderie est celle du petit enfant qui ne sait pas ce qu’il veut. L’Achille d’Homère sait non seulement où il va (ou du moins, croit le savoir, car il ignore que les immortels vont pousser Patrocle à la mort pour le décider à retourner dans la mêlée) mais, de surcroît, il porte sur ses épaules l’aura des héros des âges mythiques. On le voit à son cri de guerre, à sa capacité à massacrer non pas deux champions, mais des centaines de Troyens. Le péléide de Troy n’a que son talent aux armes pour lui, il est juste plus doué qu’Hector ou Ajax, tout simplement. Il n’a pas ce rayonnement que possède l’Achille original, qui le place sur un plan radicalement différent de tous les autres guerriers. Même Hector ne peut pas rivaliser avec lui, non pas parce qu’il est moins habile aux armes, mais parce qu’il ne peut être animé de cette rage au combat. L’Achéen est tout de même capable de faire refluer l’armée d’Ilion par son seul cri de guerre ! (JPEG)

Le retour au combat

Il se passe manière bien différente dans les deux oeuvres. Dans l’Iliade, c’est l’occasion de présenter les nouvelles armes d’Achille, forgées par Héphaïstos, car Hector a dépouillé le cadavre de Patrocle des anciennes armes d’Achille, et les porte à présent. L’évacuation de cet épisode est d’ailleurs dommageable, puisque c’est à travers lui que s’exprime l’hubris d’Hector, préalable à sa chute. Pour avoir terrassé celui qui portait les armes d’Achille, Hector se croit fondé à porter l’équipement de celui qu’il n’a pas tué, puis à défier Achille au lieu de rentrer à l’abri des murs : son appréciation du monde commence à être faussée par son orgueil. Et le combattant raisonnable, grisé par ce qui n’est que le succès temporaire d’une victoire sur la doublure, cesse d’être un simple guerrier pour prétendre à la gloire des héros. Il est donc inéluctable qu’il tombe.

Cette puissante cohérence narrative et symbolique ne se retrouve évidemment pas dans le film. Le retour au combat d’Achille se manifeste par une expédition d’Achille, seul, pour aller défier Hector sous les murs de Troie. Le passage est rapide, même si Achille pense à prendre une corde et échanger trois mots avec Briséis. Il ne ménage pas l’effet d’attente que produit l’Iliade, qui retarde cet affrontement, avec la forge des armes, puis la bataille du lendemain.

Cependant, du point de vue narratif, la bataille était indispensable dans l’Iliade. Achille n’a pas encore combattu, aussi il faut le mettre en scène. Troy a déjà montré l’adresse du champion, donc on peut comprendre d’épargner de nouvelles scènes de combat au spectateur... d’autant qu’elles étaient déjà abondantes jusque là. Il n’y pas véritablement de travail sur le matériau homérique sur ce passage, puisqu’il est simplement franchi au plus vite. On peut le regretter du point de vue sémantique. Cependant, cela n’affecte en rien la cohérence interne du film, ni sa symbolique. Aussi, comme il était inéluctable de trancher, il n’est pas vraiment opportun de dresser un parallèle entre les deux passages ici, sinon pour le détail des armes. Troy est en cohérence avec l’univers qu’il développe jusqu’ici, l’Iliade a la richesse dont dispose l’écrit.

La rencontre entre Hector et Achille

La situation du film est différente, puisque Achille vient seul face à Troie, et défie Hector, qui sort à sa rencontre. Ce passage suscite plusieurs interrogations : pourquoi les archers troyens ne tuent-ils pas Achille ? Si ce n’est avant la mort d’Hector, après celle-ci, pour récupérer son cadavre en proie à un traitement humiliant. Les règles de l’honneur ayant été baffouées par Achille, les Troyens et leurs archers multiples n’avaient pas à se priver. C’est l’azincourisation (corps d’archers tactiquement décisifs) de la Guerre de Troie qui manifeste toute son incohérence lors de ce passage. Autre question : Hector manifeste son inquiétude, et sort de la ville comme un homme qui va mourir, mais qui s’est résigné à ce sort. Cette posture est particulièrement mal venue, et appauvrit la figure d’Hector. Certes, dans l’Iliade, Hector parle plusieurs fois de la mort qui l’attend sans nul doute dans le conflit, en particulier lorsqu’il rencontre sa femme Andromaque au sommet des remparts. Il accepte de subir la loi de la mêlée, mais il ne la recherche pas particulièrement. Il manifeste un désir de vivre, pour ne pas dire de survivre, qui éclate lorsqu’il se retrouve sur le seuil de Troie. Il hésite entre la loi de la mêlée, qui veut qu’il aille chercher la gloire dans le combat contre Achille, et préfère une mort glorieuse à la vie dans la fuite, et la l’appel de son humanité. Il a le désir de retourner auprès de sa femme et de son fils, et pour cela, il va fuir. Cette fuite manifeste son indécision ; cette tension d’Hector entre les postures des héros, champions hors des lignes des âges mythologiques, et la conduite de l’homme commun, qui veut retrouver sa femme et son fils. Achille, lorsqu’il est parti pour Troie et choisissant un destin bref, mais glorieux, a déjà tranché. L’hésitation d’Hector, elle se manifeste dans cette fuite. (JPEG) Troy ne saisit pas tout l’enjeu de ce passage, ni tout le poids émotionnel qu’il apporte. Hector semble abattu. Il porte comme une faute le fait d’avoir tué Patrocle en le prennant pour Achille, alors qu’il devrait au contraire s’enorgueillir de ce fait d’armes au point de se griser, comme on l’a vu. Il avance comme un condamné, livre son combat avec Achille, et meurt sans panache. L’Hector de Troy est trop monolithique et triste pour donner à ce moment toute sa saveur.

Ce qui conduit à s’intéresser aux caratères respectifs des deux héros. On a déjà mentionné à plusieurs reprises ce qu’il en était dans l’Iliade. Cependant, plusieurs indices, ainsi qu’une certaine vision réductrice, conduit aujourd’hui à analyser Achille comme un guerrier sanguinaire incontrôlable, et Hector comme un homme moderne humaniste. C’est oublier la dimension symbolique attachée à ces figures. Achille, on l’a vu, est le héros mythique, qui a fait le choix de la gloire et des valeurs du passé. Pour apprécier tout le personnage d’Hector, on ne saurait trop renvoyer à l’ouvrage que lui a consacré Jacqueline de Romilly : Hector.

Troy reprend les présupposés classiques : Achille est un guerrier incontrôlable, qui n’a ni attaches, ni patrie. Son père est dit mort, et il se dit soldat, et non pas roi (ce en quoi les scénaristes ont méconnus beaucoup de points de l’Iliade, mais ce n’est pas ici le propos). L’histoire du film est celle de son apprivoisement, en grande partie par Briséis, mais également par Priam, on va y revenir bientôt. Hector est présenté en bon père de famille, bon grand frère, digne fils, religieux mais pas trop... qui a dit gendre idéal ? Le problème est justement qu’il est trop lisse. Faute d’avoir une lecteur assez fine du personnage, les scénaristes n’ont pas su déceler la faille de cette figure. Dans l’Iliade, il est inébranlable, mais seulement jusqu’à un certain point. Hector manifeste son humanité, sa richesse, dans ses faiblesses. Cela s’observe à son orgueil lorsqu’il revêt les armes d’Achille, d’une part. Mais également lorsqu’il balance entre affronter le péléide, ou fuir derrière les remparts. Or l’Hector de Troy est monolithique : il est lisse de bout en bout, et son personnage développe systèmatiquement son aspect de bon grand frère, bon époux et bon général de son peuple. L’Achille de Troy, au contraire, est celui qui évolue. On le voit hésiter entre combattre pour la gloire, ou renoncer à servir le roi Agamemnon qu’il méprise. Puis il hésite entre combattre et retourner en Epire. Enfin, il laisse partir Briséis, avant de continuer une guerre qui ne le concerne plus, juste pour aller la retrouver. Son personnage focalise l’attention, car c’est lui qui est en devenir. Hector au contraire ne s’interroge pas ; il sait. Le devoir est sa seule loi. Il vient affronter Achille par devoir, tête basse. Il y a un complet reneversement du matériau de l’Iliade, où Achille est celui qui a ses certitudes, puisqu’il a décidé de venir à Ilion quêter l’immortalité dans les mémoires, et a renoncé à une vie paisible et anonyme pour cela. (JPEG)

Dès lors, le duel entre Achille et Hector perd une grande partie de sa signification. Il sert surtout à illustrer la supériorité au combat d’Achille, et à mettre en valeur les chorégraphies de combats au glaive mises au point pour le film. Presque muet, l’affrontement ne génère pas la tension qu’il devrait. D’autant plus qu’il n’est qu’une annecdote dans la trame de la Guerre de Troie, passage obligé avant le cheval. Dans l’Iliade, il est le moment décisif, dernier combat de l’épopée. Il est prétexte à montrer les deux protagonistes face à face, et de manifester au travers du duel ce qu’ils sont profondément. Hector, l’homme d’une ville ébranlée par la guerre, qui hésite, tergiverse, puis finalement meurt dans une charge désespérée. Achille qui, au-delà de sa vengeance, cherche la gloire et le triomphe. Il défie les Troyens de sa superbe, injurie les usages en trainant dans la poussière le vaincu : il est l’homme qui brûle sa vie à la flamme de la gloire. Parce qu’il a renoncé à vivre en partant pour Troie, il ne craint pas la mort, et se manifeste, superbe et inquiétant, aux yeux des siens.

Après le duel

Achille rapporte avec lui le cadavre d’Hector dans le camp achéen. Quelques nuits après, Priam vient le trouver et le supplie de lui rendre le corps de son fils. Troy illustre une fois de plus le problème du choix d’évacuer l’intervention divine, puisque Priam explique sa présence par le fait qu’il connaisse bien le pays... alors qu’il était guidé par les immortels dans l’Iliade, ceux-ci étant soucieux du sort réservé au cadavre d’Hector, qui leur rendait parfaitement le culte. Ce passage, que l’on n’attendait a priori pas dans le film, est bienvenu. Jusqu’ici, seule Briséis se chargeait de l’apprivoisement d’Achille, par des questions sur le sens et le but de sa vie. Priam, figure du père, parce qu’ancien, impose le respect au jeune guerrier. Le nom de Pélée est d’ailleurs évoqué dans la conversation. Le choix d’intégrer ce moment, même quelque peu parachuté dans la trame narrative du film, apporte une profondeur à l’évolution psychologique d’Achille. Il est amadoué à la fois par une femme et par un vieillard, c’est à dire par ceux que la guerre ingore et rejette. Des individus radicalement étrangers à ce qui constitue le monde de ce guerrier. Dans Troy, ce passage prend une importance symbolique et sémantique bien plus riche que dans l’Iliade dans la mesure où il devient un moment clef de l’évolution d’Achille. C’est le temps où le fou de guerre d’hier prend conscience de la vanité de sa vie, et de cette gloire à tout prix, et de l’importance de la recherche d’un idéal au-delà.

On peut juste regretter le départ, assez incompréhensible du point de vue de la psychologie des personnages, de Briséis pour Troie. Certes, il est nécessaire pour qu’Achille aille mourir dans la ville, mais compte-tenu des libertés déjà prises par les scénaristes avec la matière originale, d’autres retournements moins superficiels auraient pu être envisagés.

Finalement, c’est l’après duel qui s’avère le passage le plus riche dans Troy, au contraire de l’Iliade, où le duel lui-même constitue le grand moment. Cela n’est pas un hasard. En effet, c’est au travers du duel qu’Homère fait exister l’homme en proie à ses interrogations, qui affronte ce qu’est son destin. Et c’est dans la rencontre avec Priam que le scénario de Troy propose le moment où Achille interroge le sens de sa vie, et qu’il existe non pas en tant que machine à tuer, mais en tant qu’être humain. Ce constat révèle donc que la richesse du matériau de la Guerre de Troie n’est pas tant dans l’épopée, que dans ce qu’elle véhicule au travers des brillants faits d’armes décrits.


NB : Le film est désigné dans cet article par son nom américain (Troy) afin d’éviter toute confusion avec la ville de Troie.

L’article d’Artelio consacré à Troy


Bibliographie :

Pour les paresseux un bref rappel des évènements des la Guerre de Troie sur le site de l’académie de Versailles.

Les Mythes Grecs qui consacrent déjà plus de matériau à la Guerre de Troie.

Wikipédia, l’article dédié à la Guerre de Troie, succint, mais accompagné de nombreux renvois.

Le site officiel de Troy qui s’évère d’une pauvreté rarement atteinte.

Hector de Jacquline de Romilly, éditions de Fallois

les mythes grecs de Robert Graves, éditions Pluriel

Dictionnaire de la mythologie grecque et latine de Pierre Grimal

par Pierre Raphaël
Article mis en ligne le 22 mai 2004

L’Iliade

 Auteur : Homère
 Editeur : Bibliothèque de la Pléiade
 Traduction de Victor Bérard

Troy

 Réalisateur : Wolfgang Petersen
 Durée : 2h43
 Année : 2004
 Distribution : Brad Pitt (Achille), Eric Bana (Hector), Diane Kruger (Hélène), Orlando Bloom (Légolas... euh, Pâris :)