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Les Annales du Disque-Monde, de Terry Pratchett

Fantasy à la sauce Pratchett

Collection de récits qui cernent un univers rond comme un disque, ces annales échevellées font souffler un vent d’irrévérence, non seulement sur la fantasy, mais aussi sur toute la culture classique.


Terry Pratchett est un auteur qui a de l’humour. Et de surcroît, l’homme est doté d’une solide culture classique. Plutôt que de ne s’en remettre qu’à l’un de ses atouts, il a préféré jouer les deux dans la même main, et abattre dans le grand jeu de la littérature les Annales du disque-monde. Non seulement il a rafflé la mise, compte-tenu de la popularité de son oeuvre, multi-traduite et diffusée de part le monde, mais encore il remporte un succès d’estime, d’aucun s’accordant à dire qu’il dépasse le simple humour pour dégager un certain intérêt de son oeuvre. (JPEG) Tout se passe dans un monde porté par quatre éléphants (ou cinq) eux-même portés par la grande tortue A’Tuin, qui dérive dans l’espace. Encore que cela reste à prouver. Parce que dans ce monde étrange, tout semble stable et bien défini, comme dans un univers de fantasy ordinaire, où les références déjà délicates à introduire, se doivent d’offrir quelques repères. Ici, rien d’acquis, ni de lieu où se reposer. Rien de bien identifiable d’ailleurs. Tout n’est que faux-semblant, humour et dérision.

L’univers de Pratchett n’échappe pas à la règle universelle de la fantasy, qui est celle du recyclage de notre monde. Mais ici, ce n’est pas une brillante réappropriation à la Tolkien, c’est un recyclage des plus grossiers, et revendiqué. Tant qu’à rire, autant tourner en dérision ce que l’on fait, et donc le genre même dont on emprunte les voix. Telle est l’ambition de Pratchett. Il puise donc partout, à la fois dans l’histoire de l’Egypte (Pyramides, ou encore celle d’Hooywood (Les Zinzins d’Olive-Oued) et dans la littérature ; de Shakespeare (Trois Soeurcières) au mythe de Faust (Eric). (JPEG)Il jete sur cette matière riche le regard volontairement hautain et distant de l’homme du XXIe siècle, celui qui, enorgueilli par le post-modernisme, s’autorise à rire de tout et à relativiser tout ce qui est, en fonction de lui-même. La contextualisation et la compréhension de ce qu’il emprute est donc taboue pour Pratchett. Au contraire, il doit jouer du décalage entre un regard volontairement simplifié et radicalisé d’homme de notre temps, et un monde dont les logiques sont celles d’hier. Rien de tel pour produire de l’absurde et du grotesque. Et c’est avec une certaine jouissance complice que le lecteur accepte cette narration rondement menée, qui ne sait que rire de ce qu’elle évoque. Afin d’accentuer encore l’effet de décalage, Pratchett affectionne les héros bien marqués, d’autant plus proches de nous qu’ils sont marginaux sur le Disque-monde. Souvent naïfs, comme Carotte (Au Guet) ou le roi de Pyramides, ou alors pleins d’un bon-sens terre à terre tels Rincevent ou mémé Ciredutemps qui sont deux héros récurrents dans le cycle, ceux-ci offrent donc toujours un point de vue de rupture. Celui qui refuse la logique admise par tous, pour proposer un éclairage qui renoue avec ce qui est au monde le mieux partagé : l’évidence. Sauf que cela n’a naturellement rien d’évident, sinon que c’est servi sur un plateau par des descriptions et des stigmatisations de petits travers et grosses corruptions à l’aide d’une plume facile. (JPEG) Pratchett écrit bien, et sa plume court vite sur le papier, comme en atteste son abondante production. Cependant, il n’a pas à s’interroger très longtemps sur la structure de ses récits. Tout commence généralement dans un monde étrange, pas si différent du nôtre. Il suffit de se replonger dans notre histoire, en y ajoutant une once de magie, et on finit par trouver le contexte du point de départ. Ensuite, saupoudrez la mixture d’un soupçon d’interrogation métaphysique simple, de préférence correllée aux interrogations de notre temps à nous, comme Hollywood mirroir aux alouettes ? ou alors le fondamentalisme religieux et la théocratie. Pour garantir la saveur de la chose, de préférence, carricaturez abondamment le problème, ça n’en percute que mieux. L’effet recherché est le rire, par la dérision, la critique acerbe, mais comme chacun sait, la réflexion fait sourire - parfois - elle ne fait pas rire.

Alors Pratchett est-il pour autant dépourvu de toute profondeur ? Non point, tant il domine son sujet, sait jouer des sétéréotypes qu’il invoque, et avec art déceller les roueries, les petites bassesses et mesquineries de l’âme humaine. C’est acide, mais cela fait parfois du bien. C’est efficace, d’autant plus que cela paraît facile, léger, mais c’est surtout la maîtrise d’une recette parfaitement élaborée qui transparaît au travers des pages. Globalement, le scénario est toujours le même : un évènement d’autant plus inéluctable que rien ne permettait de le prévoir ébranle l’univers. Le héros, antithèse du héros de fantasy, mage sans sortilège, assassin qui déteste tuer, ou encore barbare chenu et perclus de rhumatismes, va de la manière la plus improbable qui soit sauver le monde. Ce qui était en soi inéluctable, puisqu’improbable. Telle est ce qu’on pourrait baptiser la loi de Pratchett. Une fois assimilée cette logique, il est vrai que les chroniques du Disque-monde se déclinent à l’infini. Il n’y a plus vraiment de plaisir dans la découverte, ni de surprise dans la résolution. (JPEG) Mais il reste l’enthousiasme que peut susciter la trucculence de cet univers. Les personnages, de l’attachant Rincevent, à la personnification de la mort, qui comme chacun sait est masculin et communique directement avec votre cerveau. On peut aussi citer Cohen le barbare, récemment mis en scène dans un opus illustré, pour ce que Pratchett annonce comme sa dernière aventure... ce qui sous-entend presque qu’un retour est probable ! Loin de se contenter de description pittoresques et pitrèsques, Pratchett profite de la longueur de ses chroniques pour donner une épaisseur à ses personnages récurrents, surtout lorsqu’ils sont secondaires. Ainsi le bibliothécaire de l’université de l’Invisible à Anck-Morpock, de sa condition d’orang-outang mangeur de bananes, se retrouve à jouer un rôle clef à plusieurs reprises. C’est aussi le cas de Cohen, ou encore celui de la mort. D’ailleurs, c’est souvent autour de ses personnages secondaires, ou de ses héros ratés, que Pratchett noue les plus intéressantes questions de fond. Toujours sous le signe de l’esquisse, et cette fois du sourire complice plus que du rire ; il interroge la condition humaine et ses sempiternelles questions existentielles par le statut du bibliothécaire qui désire rester orang-outang, dans cette forme sans interrogation sur elle-même et l’univers, qui se contente de manger des bananes. Les apparitions de la mort, déclinées sur le mode des rencontres comiques, soulèvent le statut de l’éternité, et à travers elle, de la libération que peut représenter la fin de la vie. (JPEG)Mais qu’on se garde de toute question sérieuse, cela n’est pas de mise ici. Le sérieux transparaît au détour du chemin, rarement profond, juste comme une question grave qui viendrait à un promeneur alors qu’il est occupé à jouir du paysage.

Tel est l’univers de Pratchett, avec ses répétitions, ses faiblesses, sa limite d’être trop largement référencé à la fantasy, ainsi qu’autoréférencé. Forcément, la trame peu renouvellée de ses récits use vite, et les chroniques s’épuisent, inégales d’un volume à l’autre. Faut-il lire tout Pratchett ? Pour les fanatiques de cet humour décalé, pétri de grave légèreté, c’est un plaisir. Que le lecteur de passage se contente de butiner à cet agréable massif, qui peut s’aborder de partout, car il y est règle de n’avoir ni unité de lieu, de temps ou d’action. De fait, il y est règle de n’y avoir cohérence que le moins possible. Et le fait est que tout cela reste remarquablement construit et cohérent. A n’y rien comprendre ; c’est Pratchett, et c’est bien ainsi.

par Pierre Raphaël
Article mis en ligne le 22 novembre 2004

Auteur : Terry Pratchett

Editeur : L’Atalante

Publié en poche : Pocket Fantasy

Genre : Fantasy et humour

Style : Dérision de bon aloi

Un volume de la série fait en moyenne 300 pages format poche.

Les chroniques du disque monde comptent à cette heure 15 volumes traduits en français

Le dernier en date est le guet des orfèvres.