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Les Aubes, de Linda Lê

Pour une fois, fiez-vous à la couverture. Une main délicatement posée, comme venue soulager toute la douleur émanant d’une petite bouille rougeaude. Une moue plaintive et un regard larmoyant qui, timidement, nous susurrent : "ma vie est un concert de claques, mon bonheur ne pourra être qu’une lente et douloureuse ascension vers la lumière..."


Si les livres pouvaient se manger, celui-ci aurait le goût d’un de ces longs bonbons acidulés, amer et écoeurant au premier coup de langue, puis doux et sucré au palais. Amer, comme le jeune narrateur, progéniture indésirable d’un couple en déliquescence. Ecoeurant, comme ses parents : un artiste raté réduit à l’état de parasite et une bourgeoise névrosée prête à "tout bouffer pour le fric". Doux pourtant, comme Forever, nymphe gracile, poétesse incomprise et mère de substitution pour cet enfant hanté par le suicide. Sucré enfin, comme Vega, partenaire des premiers ébats passionnés, déesse charnelle et lectrice inspirée.

C’est un roman qui sent le vécu. L’écriture y est souvent simple et dépouillée, le ton particulièrement impudique, et le récit tourné vers les drames du quotidien. Comment grandir dans un univers hostile ? L’enfant, en première ligne, entend les injures, voit les coups puis se construit un monde noir, s’imagine un destin funeste : "La pensée du suicide m’a toujours accompagné" (le narrateur, 10 ans, chapitre 2). Deux choix s’offrent à lui, dégueuler sa haine sur les autres (comme l’avaient fait son père et son grand-père) ou se créer un monde idéal, une planète peuplée de lectures classiques (Sénèque) et d’âmes sœurs idolâtrées (Forever). La vie devient alors une quête solitaire, une tentative désespérée de recoller à la réalité.

L’univers de Linda Lê est une réflexion sur le destin, son cours incertain et ses caprices, fatals ou libérateurs. Des rencontres trop brèves ou tardives, des amours gâchés et des êtres spoliés, salis dans leur chair ou rongés de l’intérieur. Des histoires et des personnages qui vous glacent et parfois vous dégoûtent mais une vision du monde empreinte d’une rare authenticité et d’une épaisseur réellement incontestable. Et puis, en filigrane, l’espoir d’une révolte contre les laids, les petits et les lâches, tous ces êtres si bien dessinés par une romancière, qui ne demandent qu’à disparaître dès les premières lueurs de l’aube...

par Benoît Raio de San Lazaro
Article mis en ligne le 23 septembre 2004