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Les derniers carnets du Major Thompson

En 1954, paraît, dans les pages du Figaro, les réflexions d’un mystérieux Major Thompson, officier retraité de l’armée des Indes critiquant les petits travers et défauts qui nous caractérisent, et sans lesquels, hé bien, la France ne serait pas la France. Certes, les Français sont les premiers à se plaindre de leur caractère égoïste et colérique. Mais avec cet art du paradoxe qui fait tout leur charme, il leur est insupportable de voir un natif de la perfide Albion en faire son sujet de prédilection.


Pourtant, il faut croire que le Français moyen est également masochiste, car loin de honnir le major, il l’adopte. C’est ainsi que le major W. Marmaduke Thompson fit une entrée remarquée dans le genre critique de la société française ; au point que Daninos en fit un livre, les fameux Carnets, puis un autre, jusqu’à ces Derniers Carnets.....

Depuis 46 ans, le temps a passé. Les Français ont évolué, les moeurs aussi (heureusement !), ce qui ne cesse de nourrir l’étonnement du cher Marmaduke : le langage et son utilisation en particulier le fascine littéralement ; l’invasion des anglicismes le perturbe. Il est pourtant anglais - que diable ! - comme lui fait si bien remarquer son ami, Monsieur Falantin : " Dans cette mixture anglo-américaine, vous devez vous sentir à l’aise ? - Not at all ! ... J’ai parfois du mal à comprendre le français des Français, mais quand ils se mettent à vouloir parler anglais, je ne les comprends plus du tout ! "

L’humour à la française, Napoléon, l’âge et même la mort, tout est soumis au regard vif et acéré de l’éternel major....

Ici la major a vieilli. Il le reconnaît lui-même, et à ce titre, s’étonne de nos tics de langage, de nos expressions souvent employées à contresens. Pourtant, lors de ses conversations avec de vieux amis, Taupin et Falantin, résonne comme un regret du passé, de l’époque des Nannies et des governesses, où les mots n’avaient qu’une signification et où l’image n’était pas employée à tort et à travers, comme c’est le cas trop souvent aujourd’hui. Les jeunes gens ne sont plus priés de "sortir de table" lorsque des expressions telles que "s’emmerder" leur échappent au cours du déjeuner dominical, puisque leurs parents les utilisent tout autant ; ils ne connaissent plus les grands personnages historiques, ce qui ne les émeut pas outre mesure.

Thompson et ses amis partagent ainsi le regret de nombre de grands-parents qui se désolent de l’aculture de leur descendance. Autres temps, autres moeurs, peut-on soupirer, fataliste. Tompson soupire aussi, mais finit par accepter la dictature du temps : ses écrits ne sont après tout que des chroniques et les chroniques doivent avoir ce côté léger et piquant du bel esprit. Le risque de pontifier, de lasser, le guette. Il est temps de se retirer et avec lui, l’incroyable Daninos, âgé aujourd’hui de 88 ans. Si ces derniers Carnets ont l’air un peu désuet d’une leçon de morale donnée par quelque aïeul bienveillant, ils ne donnent qu’une idée lointaine de ce qu’a été la plume de Daninos, dans les précédents Carnets, que l’on relit avec plaisir, en y décelant, parfois, une surprenante actualité.

par Constance de Ayala
Article mis en ligne le 11 avril 2005