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Les murs vivants, de Jean Cavé

Paris est violent, venteux : l’orage auquel nous allons assister est d’une toute autre nature ; sans doute mêmement exaspéré, proche de la crise nerveuse. Elle : méprisante et frustrée. Lui : émotionnel et impuissant. L’histoire d’un jeune couple qui ne se supporte plus entre les quatre murs d’un sordide appartement de Belleville. Véritable boîte, dont l’étouffement ne semble s’estomper que lorsque Louis et Mona ne sont plus seuls.


Prétextes, le frère Xavier, l’ex Jean-Paul, la siamoise, les parents fantômes, tous ceux-là ne sont que des prétextes. Tout dans le logis est un prétexte : le manque de lumière, le papier-peint qui se mue au gré des humeurs, les portes qui se verrouillent seules, les colos -bêbêtes dégoûtantes, inoffensives ( ?) - qui rampent. Et cette lettre jamais envoyée au propriétaire, qui reste sur la table ainsi qu’une pièce à conviction : nous sommes infestés. Par quoi ?

Elle pour lui : une mante religieuse. Lui pour elle : un iceberg. Tout est là, malaise et incompréhension de ceux qu’une impulsion trop immature a unis trop vite, pour qui les sentiments réciproques sont démesurément envahissants ou trop fuyants. Les trop grouillent, et le couple est à l’image de ces insectes qui les envahissent jusqu’à l’invasion totale. Humanité envolée chez ces deux êtres qui ne peuvent que regarder leur nombril, qui n’ont le courage que d’examiner la laideur de l’autre au moyen d’un stétoscope lunatique. Qui ne possèdent ni l’énergie ni la volonté de décafardiser une détresse aux antennes envahissantes, d’appeler l’autre au secours. L’autre a toujours tort. Les colos dégoulinent de toute part ainsi que les insultes qui fusent à mesure que l’agacement et la détestation croissent.

Tout ici est étonnant. Le sujet : on ne peut plus simple. Un couple en dérive. Mais attention : on entre sans même s’en apercevoir dans un fantastique kafkaïen qui vire au gore le plus déconcertant. Métamorphose d’une relation, d’un univers qui de cocon devient termitière hostile et larvée, où tout ce qui arrive est bizarre, horrible, mais où le questionnement n’intervient jamais, si ce n’est ce gémissement sempiternel et agaçant : "Tu ne m’aimes pas. Tu ne m’aimes plus. Tu ne m’as jamais aimée - toi encore moins." Il est absurde de se laisser envahir par la haine, par le colo, de se faire colo, mais pas de remise en question. La vie l’impose. Hallucinant non ?

D’autant que Cavé nous ponge dans cette sourde angoisse de la manière la plus insidieuse qui soit, à petites touches, à coup de petits riens. L’auteur semble avoir atteint une parfaite maîtrise de la métaphore filée qui s’emboîte parfaitement dans une histoire elle-même en forme de boîte, dans son récit qui vous fait des torticolis. On s’efforce avec ce récit d’examiner les murs centimètre par centimètre, dans un suspense écrasant : où vont-ils, colos comme locataires ? Cavé possède cette écriture qui effleure, ainsi que le ferait un insecte qui vous court sur l’avant-bras, et que vous ne remarquez qu’après vous être posé la question : Qu’est-ce que c’est ? La réponse est écoeurante. Et la réaction aussi : on a envie de leur taper dessus, Mona comme sur Louis. Et finalement, qu’ils meurent dans leur délire collectif, et que les murs qu’ils ont inventés pour mieux se crever les yeux les massacrent nous est bien égal.

par O. M.
Article mis en ligne le 2 décembre 2004