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Limbes Limbo, de Nancy Huston

A première vue : un court texte bilingue. Une forme poétique dangereusement ânonnante, bégayante. Une résurgence anachronique d’écriture automatique (périlleux). Limbes, Limbo : un amas de clichés absurdisants ? "Vous n’allez tout de même pas me dire que vous avez l’intention de rester là et de vivre pour le reste de votre vie ? C’est ça votre projet ?" Non, notre projet c’est de ne pas s’en tenir là.


Le mot Limbes a deux sens : 1. séjour des âmes des justes avant la Rédemption 2. région mal définie, état vague, incertain.

Huston promène sont lecteur dans les terrains vagues de la référence pour offrir à Samuel Beckett une Rédemption magistrale.

Le texte de Nancy Huston se présente donc comme un hommage à Samuel Beckett. Il ne peut être compris seul. Il faut partir de l’oeuvre de l’auteur franco-irlandais pour entrevoir à quel point le court texte de la franco-canadienne est un formidable effort de condensation, l’hommage ressenti d’une oeuvre fondamentale et très largement embrassée.

Limbes Limbo est certes un poème de l’absurde qui s’affiche comme tel ("On est condamné à vivre la dérision de son état"), mais aussi le témoignage de la désespérance morbide de l’auteur à qui il est dédié ; Huston et Beckett sont formels à l’unisson, l’homme contemporain est un pur être de langage que sa parole fait et défait à son gré ("pourquoi monter sur nos grands chevaux si tout est question de mots..."). Le poème de Huston apparaît donc comme un fragment à l’image de ceux composant l’oeuvre de Beckett. Limbe Limbo n’est pas qu’un brillant pastiche. Il tend sur quelques dizaines de pages à rendre de manière exhaustive l’univers beckettien.

Le poème de Huston est comme les textes de Beckett un inventaire bégayant, itératif du temps enfoui. Les répétitions y masquent intentionnellement les menues variations qui mettent à jour la progression dans l’exploration du Moi profond. A l’instar des oeuvres du dramaturge, Huston s’exerce à un inépuisable va et vient entre soi et soi-même. Les Limbes : univers beckettien du monologue intérieur, du "monologue habité" ; lieu du paradoxe "Tout va bien, tout va de travers". Le va et vient prend forme dans la langue de multiples manières. C’est d’abord l’alternance constante des registres de langage : du calembour "ce n’est pas de cela qu’il ci-gît" ou "Quelle cata, la strophe", aux constructions syntaxiques les plus acrobatiques. Comme Beckett boucle son esthétique du va-et-vient en passant sans cesse d’une langue à l’autre, Limbes Limbo est un jeu de miroir entre l’anglais et le français (to be in limbo signifie "être tombé(e) dans l’oubli").

par Antoine Buéno
Article mis en ligne le 28 mars 2005