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Quand Robert Van Gulik mène l’enquête...

Enquêtes en terre chinoise

R. H. Van Gulik, sinologue émérite, profond connaisseur de l’Asie est l’auteur d’un ouvrage de référence en ethno-anthopologie : La vie sexuelle dans la Chine ancienne. Retraçant à partir des rapports homme-femme l’évolution des rapports sociaux et sociétaux en Chine depuis le mythique royaume des H’sia jusqu’à la restauration Ming, Van Gulik est également l’auteur d’une série de romans célèbres mettant en scène un personnage historique fameux : le juge Ti.


(JPEG)Van Gulik eut une vie bien remplie. Diplomate hollandais, il fut en poste en Chine et au Japon. Son goût et sa curiosité pour cette culture si radicalement différente le firent s’intéresser petit à petit à des aspects méconnus des civilisations orientales. L’érotisme d’une part, le système judiciaire et policier de l’autre. Il s’agit pour nous d’examiner ici les aventures que proposent Van Gulik à son lecteur : celles d’un juge pas tout à fait comme les autres, le juge Dee.

L’art de Van Gulik est donc simple : s’efforcer à partir d’un maximum de documents de coller à la réalité d’une Chine mandarinaledu VII° siècle après JC.

La mimésis de Van Gulik

En érudit anthropologue, Van Gulik avait le souci du détail. S’il a choisi de prendre comme personnage principal de ses fictions un personnage historique, c’était pour mener à bien une stratégie narrative mettant en scène une certaine forme d’exotisme.

Pour servir ce projet, Van Gulik s’ervetua à s’inspirer de l’atmosphère de l’époque au moyen de documents iconographiques et textuels. Ainsi, il est attesté dans de nombreux documents qu’un magistrat du nom de Dee, né en 630 et mort en 700, se rendit célèbre et fut promus duc de Liang par l’Empereur après avoir rendu maints service à la Cour. De ses différents mandats, l’administration chinoise garda scrupuleusement trace. En revanche, on conserve peu de choses à propos de sa vie personnelle. Ainsi, ce lettré ne figure dans aucun recueil de poésie, et seul un poème de huit vers figure dans la somme Chuan-tang-shih.

Au-delà du personnage historique qui permet de fonder une certaine légitimité dans l’esprit du lecteur, il reste certaines zones d’ombre permettant de construire un personnage de fiction.

Ce choix, Van Gulik ne fut pas le premier à le faire. Un lettré chinois anonyme du XVIII° écrivit un petit livre regroupant différentes aventures du fameux juge : les Dee Gong An. Le mythe commençait à prendre corps.

Afin de parfaire sa description de la Chine de l’époque, Van Gulik effectua des travaux de recherche sur la manière qu’avaient les juges de diligenter leurs recherches. (JPEG) Etablis dans des yamen, le personnel des tribunaux se trouve également mis en scène : les sbires allant chercher les suspects dans les geôles, les interrogeant parfois avec vigueur, parfois en recourant à la question, les témoins se succédant à la barre en s’inclinant devant les autorités juridiques.

Mieux, l’ultime effort semble porté par les dessins et esquisses réalisés par Van Gulik lui-même comme pour mieux suggérer l’univers qu’il déploie au lecteur et permettre à celui-ci de se promener plus librement dans cet univers romanesque, historique où les intrigues policières se mêlent aux intrigues narratives pour aboutir finalement à une stratégie du récit efficace et raffinée.

China realia

Tout concourt à faire croire au lecteur qu’il assiste à une représentation d’actions ayant eu lieu dans la Chine des T’ang. En effet, Van Gulik en peignant une Chine pittoresque, où truands, soldats, commerçants se mêlent joyeusement dans les intrigues donnent à voir une vision de la Chine vivante et dotée d’un cachet certain.

L’écriture de Van Gulik est vive et l’auteur s’arrange pour ménager systématiquement un certain suspens à ses lecteurs, qui brûlent en général de savoir finalement qui est le coupable. Habile écrivain, Van Gulik enchâsse différents fils narratifs ce qui permet de donner une certaine profondeur à l’intrigue et d’aboutir à des perspectives riches voire parfois drôlatiques. Par exemple, lorsque l’un des homologues de Ti se retrouve lié d’une certaine manière à des affaires relevant du pavillon des pivoines et des machinations de certaines courtisanes, la gêne du magistrat et son côté bouffon peuvent faire le lien avec les autres ouvrages de Van Gulik sur les rapports entre hommes et femmes dans la Chine antique. Ainsi, l’ensemble des romans mettant en scène le fameux juge est une invitation à se promener et à imaginer la Chine impériale des T’ang, à se plonger par exemple dans les complots d’un palais pour subtiliser un collier à une Troisième Princesse, ou encore pour résoudre de sombres crimes...

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Les auberges sont décrites avec saveur, les plats avec générosité, le fumet et le faciès des serveurs, tout dénote d’une ambiance qui nous semble exotique, différente, autre. Mieux, les intrigues du quartier des pivoines, les bijoux,, danses et autres cérémonies diverses et variées participent là aussi d’une tentative de borsser une esquisse, un tableau à vocation historicisante. Si l’histoire au sens stricte n’est pas le noyau dur de l’intrigue cette dernière se nourrit de fait et d’éléments historiques pour justement gagner en profondeur et en consistance.

La Chine des T’ang prend ainsi petit à petit une dimension plus subtile et plus vivante dans la mesure où l’imagination du lecteur peut alors dresser la toile et la trame de fond à ces divagations policières.

Une littérature de l’exotisme ?

Lire Van Gulik est donc un excellent divertissement dans la mesure où non seulement l’écriture permet de s’adonner à une lecture riche, stimulante et instructive, mais surtout parce qu’elle est également une invitation à découvrir une culture autre.

Seulement, d’une certaine manière, il convient également de pouvoir déconstruire la part d’inconscient qui participe d’une telle littérature dans la mesure où, Ti, c’est aussi, d’une certaine manière, le mythe du bon sauvage revisité.

(JPEG)Certes, tous les éléments permettant de récréer un environnement crédible, authentique sont au rendez-vous, mais dans quelle mesure cette reconstruction n’est-elle pas réductrice et fondée sur des stéréotypes ?

L’Europe, du fait de son histoire coloniale et du fait de l’histoire de son rapport aux autres civilisations a toujours eu tendance à produire une littérature fascinante et volontiers édifiante sur l’Altérité, sur les différences clairement affichées et immédtiatement perceptibles. Celle-ci débuta dès la découverte des Amériques avec le récit horrifique de Hans Staden - Nus Féroces et anthropophages - et se développa jusqu’à très récemment.

Cet aspect, plus sourd de l’oeuvre de Van Gulik, doit également nous permettre de recontextualiser celle-ci dans l’histoire et l’évolution de la saisie de l’Altérité dans l’esprit occidental. Ainsi, loin de minimiser les efforts de Van Gulik, comprendre en quoi son envie de situer tant historiquement qu’ethnologiquement son intrigue n’a rien d’étonnant. Ce prise de recul nécessaire contribue alors à procurer au lecteur une experience de la lecture qui se dédouble en lecture de l’histoire écrite et celle que l’on peut faire de soi, sur soi et sur le monde.

par Hermes
Article mis en ligne le 20 décembre 2004

Un excellent site pour appréhender l’ensemble de l’oeuvre de Van Gulik et son oeuvre sur le célèbre magistrat : http://www.lejugeti.com