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Sniper, de Pavel Hak

Un coup pour rien

Titre embusqué de la rentrée littéraire, Sniper de Pavel Hak semble viser juste et frapper fort : en plein dans l’horreur de la guerre, sale, moche et cruelle. Toutefois si le choix de la cible était judicieux, il n’est pas sûr que celui du calibre le soit : au final, Sniper ne fait pas le carton attendu.


Pavel Hak a incontestablement un certain talent. Les trois histoires que son récit entremêle, dans une guerre anonyme, plantée là comme au milieu de nulle part, mais surtout piquée à vif dans notre conscience collective, ces trois histoires sont saisissantes, parce que criantes de désespoir. C’est le supplice de femmes violées, torturées par des bourreaux d’une sauvagerie impensable, et finalement leur évasion réussie ; le périple jusqu’à la frontière d’un groupe de fuyards, au milieu des mines et des snipers, entre épuisement et désespoir ; et enfin la quête d’un homme, seul survivant de sa famille, qui retourne dans son village pour y exhumer ses aïeux pris dans les glaces de la terre hivernale. Autant de tragédies intemporelles, pour lesquelles Hak condense à l’extrême les effets de pathos, épure ses intrigues, sans luxe dans l’écriture. Le style s’endurcti, our raconter cette guerre, qui pourrait être toutes les guerres de ce début du siècle ou de la fin du précédent, pour raconter les quêtes désespérées de ces hommes et de ces femmes qui n’ont plus rien, qui ont vécu tous les supplices.

Surplombant ces trois quêtes, le monologue du sniper implacable, qui guette pour les achever les survivants, et débite un discours d’une sauvagerie et d’une froideur insoutenables : décidément, Pavel Hak ne nous ménage aucun abri dans son livre, aucun chapitre où se réfugier.

Seulement, tout se passe comme s’il n’en avait pas jamais assez à dire. Le livre veut choquer, sentir le soufre, mais cela se voit beaucoup trop. Or précisément, comme un sniper, l’objet central d’une œuvre littéraire doit se cacher pour être plus efficace, plus percutant et, dans l’art de la guerre comme dans celui du roman, la visibilité est une garantie d’échec. Au lieu de rester embusqué et de surgir pour mieux frapper le lecteur, Sniper se montre, Sniper défile comme à la parade avec ses bottes grosses comme des sabots : de l’ouverture ("Mon devoir est de tuer"), à la toute fin (où le sniper vise le ventre d’une femme enceinte), l’horreur est si criante qu’elle en devient lassante, inintéressante de la surenchère. Du coup, sans camouflage, sans aucune autre cartouche, le récit perd de sa force, et s’engage même sur les sentiers minés de la quête littéraire : la volonté de marquer, de faire date en proposant un roman d’une froideur inédite se détectent même sans radar et agacent. Hak a quelquefois l’air plus doué pour faire couler le sang de ses personnages que l’encre de sa plume, un peu approximative par endroits.

Au final donc, ce Sniper, salué comme un coup de revolver littéraire, ressemble bien plus à un pétard mouillé. Dommage car il y avait de quoi faire un beau carnage pourtant. A Pavel Hak de démontrer qu’il a plusieurs cordes à son arc : la balle est perdue, mais elle est dans son camp.

par A. B.
Article mis en ligne le 4 octobre 2004