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Comme en 14 !

Près d’un siècle plus tard, la Grande guerre nous parle encore. Elle est au cœur de l’actualité culturelle, y compris théâtrale. Ainsi de Comme en 14 !, pièce écrite par Dany Laurent - comédienne, déjà auteur pour la scène de Ma Colette - et mise en scène par Yves Pignot. Peinture sociale et politique d’une France fatiguée d’être en guerre et d’enterrer ses morts, la pièce dépeint le quotidien d’une poignée d’infirmières bénévoles dans un hôpital situé juste derrière les lignes du front. Loin de la tragédie, ce spectacle, aussi vivant qu’émouvant, est avant tout une comédie aux accents sensibles et douloureux.


1917, la "sale guerre" fait rage sur le front des tranchées où, chaque jour, les poilus tombent ou agonisent au fond d’un lit d’hôpital. A la veille de Noël, à quelques kilomètres du front, près de Douaumont, Comme en 14 ! nous plonge dans l’atmosphère d’une salle de garde où se repose entre deux amputations, Melle Marguerite, une infirmière chevronnée pour l’optimisme à toute épreuve qu’interprète superbement Marie Vincent. Elle est aidée par deux bénévoles, Suzie (Valérie Karsenti) et Louise (Rosalie Simon). Autour d’elles gravitent la Comtesse (Colette Venhard), femme inutile qui ne porte que son nom comme qualité première, et son fils cadet, handicapé mental, rôle difficile parfaitement maîtrisé par Pierre-Vincent Chapus. Quatre figures féminines, donc, qui font face, courageusement, chacune avec leurs armes : Marguerite, le dragon ronchon au grand cœur. Suzy qui, à force d’avoir soigné des éclats d’obus sur ces corps meurtris, est devenue pacifiste. La comtesse Adrienne, aristocrate perdue dans un monde qui la dépasse et qui attend l’amputation de son fils, Henry tandis que le second s’amuse à des pitreries qui agacent et adoucissent ces sales journées qui s’accumulent. Et puis, Louise, jeune bourgeoise sous l’autorité de sa mère qui compte se marier après la guerre avec Georges, parti au front.

Dany Laurent a fait de ces femmes des icônes d’un monde socialement et politiquement figé et en voie de perdition. Telle Suzy, la pacifiste gouailleuse au franc-parler qui, loin des conventions sociales et de l’esprit patriotique, crie son amour pour le fils de la comtesse et son ras-le-bol de la guerre. Et parce que ces femmes se parlent et que toutes souffrent, elles finissent par s’écouter et se comprendre. C’est ainsi qu’Adrienne et Marguerite s’interrogent sur la possibilité et la légitimité d’un changement : après tout, pourquoi ne pas critiquer la guerre ? Pourquoi ne pas accepter le mariage de Suzy et d’Henry malgré leur origine sociale différente ? Plus qu’une fenêtre ouverte sur la liberté d’être et de faire, Dany Laurent, à travers ses personnages, pose la question du possible bonheur. C’est sur cette note d’espoir que se termine la pièce. Espoir que ranime la joie de partager le repas de Noël. Espérance ténue quand la mort et l’absurdité de la guerre frappe à nouveau à la porte de l’hôpital : alors que fusent les cris de victoire et de soulagement à l’annonce du retrait des troupes allemandes de Douamont, Georges, le fiancé de Louise vient de tomber.

En ce sens, Comme en 14 ! s’affirme comme une pièce traitant du début de l’émancipation féminine et, partant, fait une peinture sociale et politique de la France de cette époque. Surtout, la pièce, profondément humaine, décrit avec intelligence et sensibilité une belle palette de rapports humains. Les petits faits de la vie quotidienne sont mêlés à la plus grande tragédie : la préparation du café, autour d’un grand poêle, à l’aube d’une dure journée de plus, est un régal. A l’approche de la nuit de Noël, dans la bonne humeur, quelques alcools et cigarettes précieuses amenés pour la circonstance viennent égayer un réveillon de fortune improvisé alors que se délient les langues... Menus et petits plaisirs qui, quand les temps se font troubles et l’âme humaine noire et sombre, deviennent de purs instants de bonheurs ... ou un simple moyen de survivre à l’horreur quotidienne. Alors, elles vivent ces femmes, elles agissent, elles luttent, elles s’amusent de tout, avec la certitude, sans cesse ébranlée et le rire toujours jumelé aux larmes, que bientôt les orages passeront et que tout repartira. Ces femmes qui, comme le souligne le metteur en scène Yves Pignot, "ont continué à vivre quand tout n’était que mort et anéantissement autour d’elle et qui, en forçant la vie, ont su offrir à tous ceux qui souffraient, un sourire, un mot, une chanson".

On ne peut que saluer cette comédie où la tragédie de la guerre est soufflée par l’émancipation de ces femmes qui relèvent la tête pendant que les hommes la perdent sur le front. Aucun temps mort, des répliques brillantes et dans le même temps, des personnages subtils aux caractères affirmés. Le texte superbe est servi par des comédiens talentueux, totalement imprégnés, au ton toujours juste et percutant et par une mise en scène vive et dynamique qui, tout en saluant le courage de ces femmes, n’a pas oublié les hommes : ailleurs et loin de leur quotidien, ils sont dans toutes leurs pensées. En bref, un vrai moment de plaisir, entre émotion et humour. Vous ne savez pas quoi offrir pour Noël ? A bon entendeur...

par Maud Vincent
Article mis en ligne le 16 septembre 2005