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Hysteria, de Terry Johnson

Et ton père ! A la veille de sa mort, réfugié à Londres, alors que l’Europe apprend les horreurs de la Nuit de Cristal, Sigmund Freud (Pierre Vaneck) reçoit la visite nocturne d’une jeune fille (Marie Gillain) à la recherche de réponses sur sa mère ancienne patiente hystérique du psychanalyste, puis de son médecin et vieil ami Yahuda (Roger Dumas), scandalisé par le dernier manuscrit de Freud qui s’attaque au judaïsme en affirmant que Moïse était égyptien, et de Dali (Vincent Elbaz), survolté, loufoque, à la recherche de la reconnaissance du maître.


La psychanalyse du psychanalyste ?

De quoi parle cette pièce ? De psychanalyse ? Sans aucun doute. De Freud ? Aussi. De la folie créatrice de Dali et du surréalisme ? En partie. De la névrose d’une fille violée par son grand-père et dont la mère s’est suicidée ? Egalement. Du judaïsme ? Un peu. Mais au final, à vouloir aborder trop de sujets, la pièce ne fait que les effleurer, et on assiste en fait à un pot-pourri de tous les clichés qui existent sur Freud, la psychanalyse et Dali.

La pièce s’articule autour de l’enquête de Jessica : elle veut comprendre ce qui est arrivé à sa mère, et accuse Freud d’avoir fait replonger celle-ci après l’avoir guérie. Freud aurait renié ses théories qui déplaisaient à la bourgeoisie viennoise, dont il dépendait financièrement et dont il soignait les filles. Par ce geste il aurait détruit le travail accompli sur la mère de Jessica, et l’aurait précipitée de nouveau dans la névrose. Par opportunisme. Finalement, c’est la propre relation névrotique de Freud avec son père, puis avec sa fille qui émergeront de l’inconscient du vieillard et qui expliquent les reniements du professeur. Sur cette intrigue se greffe un Dali caricatural et creux, heureusement sauvé de justesse par l’interprétation de Vincent Elbaz, qui semble n’être là que pour créer des situations loufoques, par ailleurs très artificielles.

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Ma femme s’appelle Sigmund

Alors qu’on aurait pu s’attendre à une pièce à dialogue dans la tradition anglo-saxonne, où les protagonistes s’affrontent servis par un texte recherché, on assiste à du théâtre de boulevard. Tous les ingrédients y sont : la femme, ici "fantasmée", nue dans le placard, le mari, sous les traits de Yahuda à la recherche des vices de Freud, qui se cache sous les tables, les plaisanteries à caractère sexuel (vous pouvez imaginer comme la psychanalyse est un terrain propice), les personnages qui se retrouvent à leur insu dans des positions équivoques, mais on s’arrête toujours aux portes de la bonne morale pour ne choquer personne. N’oublions pas les mensonges, bien sûr découverts, justifiés par de nouveaux mensonges qui débouchent sur des quiproquos à n’en plus finir. Le mauvais goût culmine lorsque Dali s’empare d’un phallus géant pour menacer Jessica.

La mise en scène est trop figurative, on a l’impression qu’elle ne dépasse pas la mise en geste fidèle des didascalies, ponctuée de ficelles aussi vieilles que le théâtre. Par exemple, lorsque Jessica confesse la raison de son intrusion nocturne chez Freud, elle vient seule en avant scène et annonce face au publique, le visage éclairé par une lumière blafarde, le suicide de sa mère. L’effet dramatique s’évanouit et est remplacé par la désagréable sensation que John Malkovich se moque du spectateur.

Il faut attendre les tout derniers instants de la pièce pour saisir un très court instant de magie sur scène. Et on ne la doit ni au metteur en scène ni aux acteurs, mais au décorateur Pierre-François Limbotsch. Alors que Freud délire, son bureau, jusqu’alors classique à l’ennui, se transforme, s’amollit, s’affaisse et devient une peinture "dali-esque". Instant surprenant et envoûtant qui malheureusement ne rattrape pas les deux heures précédentes. Au contraire cet affaissement rappelle les espoirs que nous aurions pu placer dans cette mise en scène de John Malkovich qui nous avait habitués à mieux en tant que comédien (bien que ses égarements télévisuels récents auraient pu nous avertir).

Déception donc. Mais si vous aimez rire gras, et vous croire intelligent parce qu’on parle de psychanalyse, cette pièce est pour vous.

par Nathanaël Marandin
Article mis en ligne le 7 octobre 2005